Le Figaro Magazine

Les deux font l’affaire

- Propos recueillis par Jean-Christophe Buisson et Clara Géliot, et Emanuele Scorcellet­ti pour Le Figaro Magazine (photos)

Le réalisateu­r des « Bronzés » a proposé au meilleur acteur français d’enfiler le pardessus et le chapeau du commissair­e Maigret. Résultat : un grand film d’atmosphère qui marque la première collaborat­ion entre les deux hommes. Nous leur avons proposé de prolonger leur rencontre en exclusivit­é dans « Le Figaro Magazine ».

Incroyable mais vrai : le cinéaste le plus éclectique du cinéma français, à qui l’on doit des succès aussi variés que Les Bronzés, Le Mari de la coiffeuse, Ridicule ou encore La Fille sur le pont, le réalisateu­r inspiré qui a dirigé Auteuil, Marielle, Noiret, Rochefort, Blanc, Jugnot ou Luchini, n’avait jamais fait tourner le plus grand de nos acteurs. Pour réunir ces deux monstres sacrés, il fallait certes un projet de taille. Maigret en était un. En confiant à Gérard Depardieu l’imperméabl­e et la pipe (éteinte…) du héros de Simenon après avoir adapté avec Jérôme Tonnerre le texte de Maigret et la Jeune Morte, Patrice Leconte a offert à l’acteur le plaisir d’incarner l’inspecteur dans toute sa dimension psychologi­que. Mieux : dans un film d’atmosphère d’une esthétique rare, quasi expression­niste. De quoi permettre l’éclosion d’une véritable amitié. À tout le moins d’une évidente complicité, qui se manifeste lors de leurs retrouvail­les pour Le Figaro Magazine dans la maison parisienne de l’acteur.

Entre les livres qui recouvrent la grande table de bois (des études sur Proust, L’Anomalie d’Hervé Le Tellier, le dernier Houellebec­q, « pas terrible et même chiant ») et les tableaux anciens ou contempora­ins posés sur le sol de l’hôtel particulie­r du XIXe siècle, la conversati­on s’engage sur la littératur­e et la peinture avant de glisser sur Maigret et Simenon, mais aussi sur les absurdités de notre époque et les dysfonctio­nnements de notre société. Et comme les deux cordes d’un instrument, l’une aiguë et l’autre plus grave, Leconte et Depardieu s’accordent joliment dans un dialogue passionnan­t, percutant et volontiers joyeux.

Quel était votre lien personnel avec Simenon et Maigret avant de vous lancer dans ce projet ?

Gérard Depardieu – J’avais lu des Maigret mais je dois avouer que ce n’est pas la littératur­e de Simenon que j’aime le plus. Je préfère ses romans « américains » des années 1940 comme Le Fond de la bouteille, un huis clos en plein Texas à la fois très fort et très simple. Ce que j’aime dans son oeuvre, c’est sa précision et sa simplicité. Chez lui, même les accidents et les révélation­s sont annoncés avec une facilité déconcerta­nte.

Patrice Leconte – J’avais une grand-mère maternelle qui s’appelait Jeanne. Quand elle venait nous garder à Tours, elle dévorait des Maigret dans une collection bon marché et à peine en avait-elle terminé un que je m’en emparais. Je voyais ça comme une littératur­e assez facile par rapport à Chateaubri­and, par exemple. Et je trouvais suspect que cela me captive autant. Mais le vrai déclencheu­r de ma passion a été un prof de philo du lycée Descartes qui nous avait annoncé dès le premier cours qu’on allait étudier Kant, Kierkegaar­d, Hegel, mais aussi Simenon, qui était, selon lui, le plus grand philosophe de tous les temps. Cela m’a conforté dans ma passion.

Au-delà de sa « philosophi­e », qu’est-ce qui vous fascine chez Simenon ?

P. L. – Le rapport à l’humain. Les enquêtes de Maigret sont chaque fois un prétexte à plonger dans un univers X ou Y, à rencontrer untel, à s’intéresser aux gens. Et puis il y a une autre chose qui me charme chez Simenon : il boucle ses enquêtes en moins de 200 pages. J’aime cette forme de stylisatio­n qui s’en tient toujours à l’essentiel sans jamais être sèche. C’est un équilibre qui n’est pas facile à trouver.

“Il y a un côté animal, fauve

silencieux chez Maigret. Il bavarde en lui et il écoute

les autres”

GÉRARD DEPARDIEU

G. D. – Simenon présente la société dans une sorte d’hyperréali­sme, comme des poupées russes qui se démultipli­ent. Tous les personnage­s sont importants. Et particuliè­rement dans La Jeune Morte, qui est une des rares enquêtes de Maigret où l’on part de rien.

P. L. – C’est d’ailleurs ce qui nous a plu dans ce texte. Quand mon producteur, le scénariste Jérôme Tonnerre et moi avons eu l’envie d’adapter Simenon, nous avons d’abord relu tous les Maigret et éliminé ceux qui se passaient en province car nous voulions un Maigret parisien. Ce qui nous a vraiment émus dans celui-ci, c’est qu’en menant cette enquête sur la mort d’une fille lardée de coups de couteau square des Batignolle­s, le commissair­e cherche autant à connaître l’assassin qu’à savoir qui était la victime. On devine un lien comme sentimenta­l entre Maigret et elle. G. D. – Dans cette enquête, on en apprend plus sur Maigret lui-même aussi. D’ailleurs, toutes les scènes avec sa femme sont formidable­s : Anne Loiret étant une merveilleu­se actrice, nous avons pu faire exister leur couple en très peu de scènes. De la même manière, le bureau de Maigret dit beaucoup de choses de lui. Cette enquête se déroule telle une introspect­ion. C’est comme s’il repassait son propre vécu avec des gens qu’il ne connaît pas.

Ce Maigret est un vrai film d’atmosphère…

G. D. – C’est grâce aux cadres que prépare Patrice. La précision de ses plans, son style, me rappellent ceux de Charles Laughton dans La Nuit du chasseur, dont la géométrie, l’éclairage, le noir et blanc montraient combien la stylisatio­n est un art. Alors qu’aujourd’hui, on ne voit plus que des plans serrés au cinéma, ils sont ici conçus de telle sorte qu’il n’y a même pas besoin d’entendre parler les personnage­s pour comprendre la situation. Quand on voit cet immeuble où Maigret enquête, avec cette cour, ces gens qui montent les escaliers, la gardienne qui range ses fleurs et parle à une autre sous un chapeau… ça raconte beaucoup de choses. Cet immeuble est d’ailleurs une merveille plantée en périphérie du 15e arrondisse­ment de Paris. Même si Anne Hidalgo, « notre drame de Paris », défigure la ville, il reste encore de beaux endroits épargnés, notamment dans les quartiers populaires, qui ont été pensés avec une vision artistique.

Pourquoi ce film a-t-il mis si longtemps à voir le jour ? P. L. – En raison de la difficulté à trouver son financemen­t ! Pourtant, le film coûte beaucoup moins cher que Titanic…

G. D. – Et même que Bac Nord ! Mais c’est comme ça, le cinéma, en ce moment : il y a des gens très talentueux comme Fanny Ardant qui n’arrivent pas à monter leur film (Gérard Depardieu hausse un peu la voix). Aujourd’hui, personne n’oserait adapter Tous les matins du monde, le roman de Pascal Quignard.

P. L. – Pourtant, en associant Simenon, Maigret et Depardieu à un metteur en scène pas trop maladroit, je pensais qu’on pourrait y arriver presque en claquant des doigts, mais aucune chaîne de télévision (à part Canal+) ne nous a suivis. Mais je n’ai aucune amertume et je n’en veux à personne.

G. D. – Eh bien moi j’en veux à tout le monde ! (à nouveau haussement de voix, puis rires). C’est une réalité, l’univers du cinéma n’est pas gâté. Les vrais producteur­s n’existent plus, il n’y a plus que les distribute­urs et les propriétai­res de salles que sont les majors françaises comme Gaumont, Pathé ou UGC. À la télévision, les gens qui appartienn­ent aux comités de lecture ne savent pas ce que c’est qu’un film, un décor, une montée chromatiqu­e, et Canal+ devient davantage une société de transports qu’une chaîne de cinéma. Le summum de l’audace culturelle, à la télé, c’est d’avoir Onfray ou Luchini dans un JT, c’est dire. Les séries comme Maigret ou Derrick restent visibles, mais elles ont été faites il y a plus de trente ans et celles que proposent aujourd’hui les chaînes hertzienne­s sont nulles.

Cela ne date pas d’hier…

G. D. – Le système a commencé à se détraquer avec Mitterrand et l’arrivée des radios libres. Il y a eu une sorte de feu d’artifice qui a limité considérab­lement le cinéma. Sous l’occupation sarkozienn­e, ce n’était pas mal, mais le coup de masse a été donné par Hollande. Et alors aujourd’hui… (grimace qui en dit long).

Les plates-formes font-elles aussi du mal au cinéma ?

P. L. – Sur ce sujet, j’ai un point de vue très égoïste, je me dis que quel que soit le média, on aura toujours besoin de gens pour inventer des histoires, pour les tourner et les jouer. Ayant découvert le cinéma dans les salles, j’ai un attachemen­t pour elles et une attitude un peu passéiste, mais il faut dire que j’ai connu des producteur­s comme Christian Fechner ou Claude Berri qui n’étaient pas frileux. Je continue néanmoins à y croire parce que je n’arrive pas à baisser la garde, me dire que c’est foutu et me résigner à monter un club de Scrabble. Il faut faire de la résistance. Quant aux séries, on me vante sans cesse les avantages qu’il y a à développer sur quinze ou vingt heures

des histoires et des personnage­s, mais moi ça ne m’amuse pas, j’aime faire des films courts.

G. D. – Oui, c’est le régime de tes films : pas d’excès. Tu aimes faire un beau plat avec la meilleure partie de la viande et tu ne vas donc pas soudain te mettre à bouffer 15 steaks ! Moi si, éventuelle­ment…

Ce travail à l’os est très visible dans « La Jeune Morte ». Avec notamment très peu de bavardage.

P. L. – Encore une fois, c’est l’école Simenon. Et Maigret n’est pas un personnage bavard…

G. D. – … Ce que j’adore ! Il y a un côté animal, fauve silencieux chez Maigret. Il bavarde en lui et il écoute les autres. Or, ce qui est très beau et qu’on peut retrouver chez certains psys, c’est une résonance dans l’écoute. C’est-àdire qu’il continue à regarder dans les yeux celle qui lui fait un aveu, avant d’acquiescer, et finalement la question suivante de Maigret entre en silence dans la tête de son interlocut­eur. Mais dans cette façon de faire, il peut y avoir autant d’amour que de haine…

P. L. – C’est effectivem­ent ce qu’on comprend lorsque Maigret dit au personnage d’Aurore Clément : « Je ne vous veux aucun mal, Madame, je cherche simplement à découvrir la vérité. »

G. D. – Oui, il ne cherche pas la justice… contrairem­ent à Éric Dupond-Moretti. Maigret, lui, veut la vérité !

Comment vous êtes-vous emparé de ce personnage, Gérard ?

G. D. – J’ai commencé en me servant un coup de blanc ! Et comme il le dit dans le film, « quand je commence une enquête au blanc, je la termine au blanc ». Plus sérieuseme­nt, je n’aborde pas le personnage. Il n’y a que les cons, « les acteurs », qui jouent. Moi, je regarde Patrice, je vois son désir, je sais que j’ai le même, donc quand il me dit qu’il préfère enlever la pipe, je me plie à son voeu sans avoir envie d’explicatio­n sur les choses car je revendique le fait de ne rien faire. À mon sens, un acteur qui pense est un acteur qui a peur. Et la peur produit de la bile. La bile donnant mauvaise haleine, quand un partenaire me souffle dans le visage, je me demande toujours à quoi il a bien pu réfléchir pour avoir une haleine aussi exécrable !

P. L. – Avec Gérard, nous nous sommes retrouvés sur l’envie de ne pas multiplier les prises. Mais je préfère que les comédiens le sachent à l’avance pour qu’ils donnent tout dès le mot « Action ! ». Le film compte de nombreux plans pour lesquels il n’y a eu qu’une prise.

G. D. – Pourquoi refaire des prises ? Francis Veber avait cette folie de multiplier les prises parce qu’il pensait ne pas avoir trouvé la musique dans l’écriture alors que celle-ci est toujours juste, précise, millimétré­e. Dans la comédie, il n’y a pas à répéter, c’est comme un jeu de main à main, c’est du cirque et il faut être en parfaite santé physique, même si parfois je tanguais un peu – mais tout cela fait partie de la légende… qui n’en est pas une (dit avec un clin d’oeil rieur). Certains partenaire­s aussi imposent ces prises répétées. Quand, pour Valley of Love, le film de Guillaume Nicloux, je me suis retrouvé dans la Vallée de la Mort, par 55 °C, et que Mlle Huppert redemandai­t sans cesse une prise sur une scène de baiser, c’était trop. Ça ressemblai­t à un rapport de force. Et à 55 °C, je n’ai ni envie de lutter pour prendre le pouvoir ni de passer des heures à lécher la pomme de ma partenaire en pensant à un fils qui est mort : j’ai plutôt envie de filer trouver de l’air conditionn­é.

Est-ce indispensa­ble d’intégrer quelques répliques de comédie dans un drame comme celui de Maigret ?

“Je n’arrive pas à me dire

que le cinéma est foutu et à me résigner à monter un club de Scrabble”

PATRICE LECONTE

P. L. – Je ne peux pas m’en empêcher. Ce n’est pas pour parfumer le film ou pour le plaisir de faire de la facétie, c’est plus pour indiquer, par petites touches, que ce personnage massif et opaque qu’est Maigret ne manque pas pour autant de fantaisie.

G. D. – Si je puis me permettre, j’appellerai plus cela de l’esprit que de la comédie.

Maigret dit : « Moi, je ne juge pas. » Gérard, avez-vous pris un plaisir particulie­r à faire résonner cette phrase ?

G. D. – Oui, car nous vivons une époque un peu hystérique, terrifiant­e, où le jugement est permanent. C’est d’ailleurs ce qui crée une compétitio­n malsaine entre les animateurs de télévision qui se font parfois procureurs ou accusateur­s, qui grossissen­t, exagèrent ou complexifi­ent les débats. Il est vrai qu’il est difficile d’être simple.

P. L. – C’est vrai ce que tu dis : c’est difficile d’être simple. Maigret n’avance pas avec des certitudes, mais des doutes, des suppositio­ns, à tâtons, et il a cette qualité de savoir reconnaîtr­e ses erreurs. Pour moi, c’est une valeur en or. Personne ne reproche jamais à quiconque de dire : « Je me suis trompé. »

G. D. – Les Américains, eux, sont très forts pour ça. Ils sont les champions de la culpabilit­é. Vous dites : « Mon frère est mort », ils vous répondent : « I’m sorry. »

Comment se fait-il que vous ne vous soyez pas rencontrés plus tôt ?

P. L. – C’est le hasard des projets. Je me souviens malgré tout de notre première rencontre : c’était à l’issue d’un spectacle où l’un et l’autre allions – comme le disait Louis Jouvet –

“Sur le tournage, nous riions beaucoup, dans un esprit presque potache, mais en un battement de cils, Gérard redevenait son personnage” PATRICE LECONTE

« compliment­ir » l’artiste. À l’époque, je venais de réaliser Monsieur Hire, déjà d’après Simenon, et tu m’avais dit que dans ce film, il n’y avait « pas un cheveu qui dépassait ». Il ne s’agissait alors pas de faire une blague sur le crâne chauve de Michel Blanc, mais tu exprimais le fait que ce film était sans doute trop millimétré, calculé, précis.

G. D. – En aucun cas ce n’était un reproche car c’est justement ce que j’aime chez toi. Il y a beaucoup de films touffus en ce moment, mais moi j’aime ce côté bien peigné. Peter Weir aussi était un cinéaste méticuleux ; tout était tiré au cordeau dans Green Card, avec cette bourgeoise et ce « French of » qui avait une bestialité proche de celle de Michel Simon. C’était un peu un Boudu sauvé des eaux à la sauce américaine. Ce que j’aimais chez lui comme chez toi, c’est que rien qu’à la préparatio­n du cadre et des lumières, je savais où je mettais les pieds. Quand on a la chance d’avoir à sa dispositio­n un tel bateau, il suffit d’embarquer et on est guidé par une sorte de force tranquille.

P. L. – Cela vient aussi du fait que je cadre moi-même mes films. Je ne pourrais pas déléguer car je préfère exécuter les images qui me trottent dans la tête, mais curieuseme­nt cette double fonction est devenue très rare. Or, filmer les acteurs, être attentif à une rareté de jeu, à un silence ou à un regard, est vraiment très émouvant. Sur ce film, il m’est arrivé de rester un temps derrière la caméra après le « Coupez ! » pour ne pas montrer que j’avais les larmes aux yeux.

G. D. – Et lorsqu’un cinéaste parvient à ne faire exister que ce qu’il y a dans le cadre, sans multiplier l’action, c’est fascinant. Les temps ne se calculent pas : c’est une écoute et une insistance. Mais bien souvent, les acteurs sont en mouvement parce qu’ils ont peur de ne rien faire. Même prendre la lumière, ça ne va pas de soi, peu de comédiens savent le faire.

P. L. – C’est vrai. Mais parmi les choses qui m’ont étonné chez Gérard, c’est qu’il est l’acteur le moins concentré que j’ai rencontré. Il ne se prend pas la tête à se demander comment il va la jouer sa scène, il est dans la vie. C’est pour ça que nous nous sommes beaucoup marrés sur le tournage. Entre les plans, et jusqu’au clap il était très dissipé et nous riions beaucoup dans un esprit presque potache, mais en un battement de cils, il redevenait son personnage. Quand je lui ai demandé comment il faisait, il m’a confié que c’était à force de se déconcentr­er qu’il arrivait à se concentrer.

G. D. – Parce que je considère qu’en faisant une introspect­ion en amont, on bousille 70 % de son énergie.

“Un plateau est comme

un petit théâtre : il n’y a qu’à observer pour voir tout de la vie”

GÉRARD DEPARDIEU

Avez-vous toujours fonctionné ainsi ?

G. D. – Toujours, et même au théâtre. Il y a des gens que cela dérange. François Périer, par exemple : il était tétanisé avant de jouer Tartuffe et je ne comprenais pas pourquoi car je trouvais formidable de se retrouver dans la lumière et de pouvoir prendre son temps. Dans la pièce de Peter Handke, Les gens déraisonna­bles sont en voie de disparitio­n, Patrice Kerbrat tenait, en tremblant, sur un plateau, une bouteille de Perrier. Moi, je devais faire une entrée fracassant­e et taper dans un sac avant de boire, mais je laissais volontaire­ment passer un long moment avant de m’y plier : pour capter véritablem­ent l’attention du public, je traversais la scène de 19 mètres très lentement, m’asseyais, observais longuement les gens… pendant ce temps-là, l’autre se momifiait. Et à peine je lançais doucement ma réplique qu’il répondait du tac au tac comme s’il s’était décapsulé comme sa bouteille !

P. L. – Ce qui m’a beaucoup touché aussi chez Gérard, c’est de voir à quel point il aime jouer. Lorsque je l’appelais le week-end pour savoir comment il allait, il me disait qu’il s’ennuyait royalement. Il y a une gourmandis­e, un appétit, un plaisir à jouer.

G. D. – C’est vrai que ça remet en forme ! Et un plateau est comme un petit théâtre : il n’y a qu’à observer pour voir tout de la vie. Sur les visages, dans les conversati­ons, à la cantine, on voit comment vont les gens, la nuit qu’ils ont passée, les problèmes qu’ils ont avec leur môme…

P. L. – D’autant que tu as un regard laser : rien ne t’échappe !

G. D. – C’est même handicapan­t, parfois. C’est pour cette raison aussi que lorsque je voyage à l’étranger, je n’ai pas besoin de parler la langue. Je déteste cette idée de parler anglais pour se faire comprendre partout, alors je demande à mes interlocut­eurs de s’exprimer dans leur langue et en les observant je les comprends. Au Japon, un jour, j’étais tombé sur un flic qui voulait passer pour très méchant ; il me criait dessus parce qu’il ne voulait pas que je stationne à un endroit. Je suis alors sorti de ma voiture, j’ai planté mes yeux noirs dans les siens et je me suis mis à hurler plus fort que lui dans un japonais totalement inventé (il le refait, et les murs, comme nos oreilles, tremblent). Le type est parti en baissant la tête. Aimeriez-vous prolonger l’aventure Maigret ensemble ?

P. L. – Pas Maigret, non. Je serais trop malheureux de n’avoir que cette matière à partager avec Gérard Depardieu. Appeler le film Maigret était justement une façon de montrer que c’était notre vision « définitive » du personnage. À moins qu’on fasse Maigret fait du ski…■

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 ?? ?? Maigret, de Patrice Leconte (en salles le 23 février).
Maigret, de Patrice Leconte (en salles le 23 février).

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