UN HOMME EN COLÈRE
La colère est parfois bonne conseillère. Jean-Luc Jeener en offre une excellente démonstration dans Pour en finir avec la Culture *. Un essai dans lequel ce pilier de la critique théâtrale au Fig Mag pendant trois décennies, réputé pour sa plume sévère mais juste, s’en donne à coeur joie pour déplorer le déclin actuel du rayonnement français.
Pas « essentielles », les activités consistant à nourrir nos âmes ? Le directeur du Théâtre du Nord-Ouest, contraint de baisser le rideau de son établissement pendant une partie de la période de pandémie, use volontiers d’un ton fataliste dès les premières pages. « Le coronavirus, comme tous les événements violents de notre Histoire, a agi comme un révélateur, écrit le pamphlétaire. Il a bien cimenté la hiérarchie des urgences d’aujourd’hui, et donc remis, comme il se doit, la culture en bas de l’échelle. » Et l’auteur de dérouler en chapitres incisifs et argumentés le fil des mauvaises nouvelles : la disparition progressive des librairies, le rejet des textes ambitieux dans les salles, l’appauvrissement des programmes dans les manuels scolaires, le formatage constant observé dans les universités, l’omniprésence de la langue anglaise dans notre quotidien, les références basiques recensées dans les rendez-vous télévisuels, l’influence néfaste des Gafa, le pouvoir de l’argent… Jean-Luc Jeener, qui multiplie les exemples professionnels ou personnels au fil de cette balade dans les coulisses d’un univers menacé mais toujours debout, vise juste. Car, en plus d’un réquisitoire contre les dangers de la société contemporaine, il livre un véritable guide de survie du secteur. Un ouvrage érudit, traversé de notes d’humour et d’espoir appréciables, que les prétendants à l’Élysée seraient bien inspirés de découvrir durant ces dernières semaines de campagne électorale. Campagne où le mot « culture » brille hélas par son absence…
* Atlande, 200 p., 15 €.