Le Figaro Magazine

ÉMOIS ET MOI ET MOI

- Paulin Césari

Tous les goûts sont dans la nature. Mais dans celle des candidats à la présidence, on trouve surtout le mauvais. La campagne en cours l’atteste. Tous les prétendant­s paraissent mus par un irrépressi­ble désir de raconter leur vie. D’extraire de leurs entrailles leur pathos le plus intime. Tous semblent pressés de se déshabille­r en public. D’exhiber leur dessous afin d’embrasser la multitude. Leurs entourages les y incitent. Les médias avides de cette nourriture les encouragen­t. On les prie, on les somme de « se dévoiler » de « se déboutonne­r », de « fendre l’armure », afin de « s’humaniser ». Cette injonction à la vie nue, cette réduction sophistiqu­e de l’humanité à l’obscénité ne doivent rien au hasard. Elles sont censées provoquer l’adhésion du citoyen en misant sur la contagion mimétique des affects. Mais, adhésion à quoi ? À rien, justement ! Car des affects partagés, aussi vulgaires soient-ils, ne font ni ne fondent un programme, un dessein, un destin politique. Dissimuler ce rien en s’y substituan­t, telle est la fonction de l’extension du pathos et de ses désolants « strip-teases ». Dès lors que les candidats ne sont plus animés par une vision qui les surplombe, donc par une incarnatio­n venue d’en haut, ils n’ont plus à offrir qu’une animation, donc une révélation venue d’en bas. Celle de leur intimité la plus commune. De leur « misérable tas de petits secrets ». De leurs émotions les plus insignifia­ntes. Bref, d’eux-mêmes tels qu’en eux-mêmes leur vanité les change. Émois et moi et moi, tel est, in fine, leur plus secret mantra.

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