ÉMOIS ET MOI ET MOI
Tous les goûts sont dans la nature. Mais dans celle des candidats à la présidence, on trouve surtout le mauvais. La campagne en cours l’atteste. Tous les prétendants paraissent mus par un irrépressible désir de raconter leur vie. D’extraire de leurs entrailles leur pathos le plus intime. Tous semblent pressés de se déshabiller en public. D’exhiber leur dessous afin d’embrasser la multitude. Leurs entourages les y incitent. Les médias avides de cette nourriture les encouragent. On les prie, on les somme de « se dévoiler » de « se déboutonner », de « fendre l’armure », afin de « s’humaniser ». Cette injonction à la vie nue, cette réduction sophistique de l’humanité à l’obscénité ne doivent rien au hasard. Elles sont censées provoquer l’adhésion du citoyen en misant sur la contagion mimétique des affects. Mais, adhésion à quoi ? À rien, justement ! Car des affects partagés, aussi vulgaires soient-ils, ne font ni ne fondent un programme, un dessein, un destin politique. Dissimuler ce rien en s’y substituant, telle est la fonction de l’extension du pathos et de ses désolants « strip-teases ». Dès lors que les candidats ne sont plus animés par une vision qui les surplombe, donc par une incarnation venue d’en haut, ils n’ont plus à offrir qu’une animation, donc une révélation venue d’en bas. Celle de leur intimité la plus commune. De leur « misérable tas de petits secrets ». De leurs émotions les plus insignifiantes. Bref, d’eux-mêmes tels qu’en eux-mêmes leur vanité les change. Émois et moi et moi, tel est, in fine, leur plus secret mantra.