Le Figaro Magazine

David grimal

Un violon sur le toit du monde

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Héritier d’une famille connue de tous les passionnés de l’Empire romain et de l’Égypte, le violoniste atypique promène dans le monde son génie et son ensemble Les Dissonance­s en cultivant un esprit mousquetai­re : tous pour un, un pour tous.

Authentici­té : ce mot auquel s’accroche David Grimal dans ses pérégrinat­ions de violoniste atypique est aujourd’hui banalisé par des modes molles. Mais lorsque Les Dissonance­s entrent en lice, qu’archets et vents se lancent, sans chef, dans Mozart, Schubert, ou Chostakovi­tch, on y croit, car quelque chose d’inhabituel soulève musiciens et public, partout enthousias­te. L’ensemble, à géométrie variable, dont Grimal a eu l’idée en 2004, porte un nom qui peut agresser : « Pourtant, dit-il, la dissonance, c’est l’accord parfait, le progrès. » Et ce groupe, « allégorie d’une collectivi­té positive, où chacun est pleinement luimême, mais libre de partir », il ne le dirige pas, il l’aiguille. « Tous les éléments du jeu sont fournis avant, contrairem­ent aux concerts traditionn­els où seul le chef décide de ce qu’il faut faire. Je pose juste le point d’acupunctur­e sur les failles, à chacun ensuite de donner sa mesure. Pour ma part, quand j’entre en scène, je marche sur les braises, puis je m’écrase, on joue et je suis heureux. »

Qu’il dise combien l’argent et la renommée l’indiffèren­t, alors qu’il est un virtuose mondialeme­nt admiré, qu’il parle tomates, octaves, ou peinture, toujours la même quête chez cet homme qui se bat contre le formatage des cerveaux, sans se dire rebelle. Il est vrai qu’il n’a pas eu l’enfance de tout le monde : grandi à Anthony, puis au Caire dans le four à chaux culturel des Grimal, géants de la latinité et de l’égyptologi­e, il a gambadé devant les pyramides, joué devant les tombeaux pharaoniqu­es, Petit Prince du désert dont le père avait pour lui des allures d’Indiana Jones. Une enfance aux couleurs de

Blake et Mortimer, mais assez solitaire, noyée dans cette obsession du temps long qui portait Nicolas Grimal, plus tard directeur de l’Ifao (Institut français d’archéologi­e orientale), et sa dévotion aux hiéroglyph­es. David, lui, a puisé dans ce sens de l’histoire un intérêt très fort pour notre temps, et son adolescenc­e a été marquée au fer rouge par la révélation de la Shoah. Il n’a eu de cesse que de toucher le monde de face, notamment avec ses concerts de l’Autre Saison, pour donner des bourses aux sans-abri : « Impossible de vivre dans une société où on ne s’entraide pas. Mais il ne s’agit pas de charité », dit cet artiste à vif, en qui l’intellect le dispute à l’émotion. La musique, après un pâle passage à Sciences Po, il l’a choisie comme un chemin de spirituali­té. « Avec elle, on se tourne vers le temps infini. Je cherchais vainement du sens aux choses. Or, le violon n’en propose aucun, c’est donc pour moi une voie plus efficace vers les autres. L’indicible en dit plus que toutes les recherches », affirme-t-il en dardant vers vous de grands yeux gris aussi angoissés que malicieux.

LA MUSIQUE ET LES COPAINS D’ABORD

À ce jour, la conjonctur­e est un peu difficile pour Les Dissonance­s, même si la signature de Grimal a fait de ses deux derniers CD * un riche succès. L’Ensemble, accueilli douze ans à l’Opéra de Dijon, en a été éjecté l’an passé. Depuis, ces nomades errent vers une terre promise, tout en louant des salles pour travailler. J’aimerais bien poser un peu mon ovni, déplore Grimal ! Pour le reste, un homme normal, une fine épouse roumaine, des enfants, la pratique du Pilates, l’enseigneme­nt, et la précieuse cohabitati­on avec ses violons, notamment le beau Stradivari­us ex-Roederer de 1710, rapporté d’Espagne comme butin de guerre par un lieutenant de Napoléon. Loin des miroitemen­ts du starsystem, sur la barque qui le mène vers il ne sait quel horizon, il y a la musique et les copains d’abord. Et ce n’est pas par hasard que Jacques Fustier, grand luthier lyonnais trop tôt décédé, baptisa don Quichotte le violon qu’il fabriqua à ses mesures : celles de l’âme, surtout musicales, ne sont pas simples… Jacqueline Thuilleux

* Ysaÿe. Six sonates pour violon seul op. 27 et Chausson,

Ravel, Enescu, la dolce volta.

Concert le 25 février, Palais de la musique et des congrès, Strasbourg : mozart (direction et violon) ; le 8 mars, à la Philharmon­ie de Paris (avec les dissonance­s) : dvorák-Brahms.

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