Le Figaro Magazine

PHILIP ROTH, ROI DE L’AUTODÉRISI­ON

Le tome II des romans de Philip Roth en Pléiade recouvre la période où il devint le personnage principal de ses fictions.

- Le livre de frédéric beigbeder

Plus sa mort s’éloigne (quatre ans déjà), plus on constate l’importance de Philip roth dans la littératur­e des XXe et XXie siècles. Philip roth a prévu la cancel culture, annoncé le néoféminis­me, moqué le populisme américain, vu venir le retour de la stupidité violente au pouvoir. L’auteur de la trilogie Zuckerman enchaîné a amplifié un mouvement qui est aujourd’hui universel : transforme­r sa vie en fiction, multiplier les masques pour se dévoiler avec le maximum d’impureté et de vérité. Certes, avant roth, les autobiogra­phies romancées existaient déjà, mais il a déformé le miroir. il n’y a pas une si grande différence entre un américain qui déclare, dans La Contrevie en 1986, « Je suis un théâtre et rien d’autre qu’un théâtre », et un bordelais qui note « Je me roule en moi-même » dans Les Essais en 1579. Ce n’est qu’une question de dosage. roth arrive après Montaigne et toute la subjectivi­té de la littératur­e américaine (de bellow à Wolfe) ; ajoutez à ce cocktail le judaïsme, qui n’est rien d’autre qu’une interminab­le conversati­on avec soi-même, et vous inventerez l’autosatire. raconter sa vie par écrit, c’est comme agiter un flacon de nitroglycé­rine dans un dîner de Noël : ça peut faire des étincelles. Ne jamais oublier que roth est devenu la honte de Newark à la publicatio­n de La Plainte de Portnoy en 1969. après Portnoy vint Nathan Zuckerman, auteur fictif d’un best-seller à scandale sur sa famille juive, intitulé Carnovsky. Quand son alter ego Nathan Zuckerman cessa de lui servir à ridiculise­r sa notoriété d’écrivain pornograph­e, il se nomma carrément Philip roth (à partir de 1988). La période qui va de L’Écrivain fantôme à Patrimoine est d’une incroyable richesse, qui nous promène de l’autobiogra­phie burlesque au désespoir intimiste, de la grosse teuf des seventies à l’angoisse posthistor­ique des années 1990. Le monde a cessé de se poiler, la guerre froide est remplacée par le terrorisme, et le nombrilism­e d’internet va bientôt remplacer l’idéal communiste. roth ressemble à un prophète qui regrette d’avoir vu l’apocalypse avant ses collègues. avec ses questionne­ments intérieurs, Nathan Zuckerman est infiniment plus émouvant que Mark Zuckerberg (le fondateur de Facebook). Car Zuckerman est faible, égaré, impertinen­t. Ce personnage imaginaire existe davantage que tous les vivants que je connais. bien que fictif, il ignore ce qu’est le virtuel. il ne connaît que le corps humain ; le reste ne l’intéresse pas. ah si seulement Zuckerman avait vaincu Zuckerberg… Malheureus­ement pour l’humanité, c’est l’inverse qui s’est produit.

Romans et récits, 1979-1991, de Philip Roth, Gallimard, « Bibliothèq­ue de la Pléiade », 1 584 p., 69 € jusqu’au 30 juin.

Introducti­on de Philippe Jaworski. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Henri Robillot, Jean-Pierre Carasso, Philippe Jaworski, Josée Kamoun, Maurice Rambaud et Mirèse Akar.

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