Le Figaro Magazine

Et jésus dans tout ça ?

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Convaincus que les catholique­s constituen­t une « minorité créative » au coeur de la société, les équipes de la revue trimestrie­lle « Mission » consacrent un hors-série à la présidenti­elle. Les candidats ont ainsi répondu à la question : « Pour vous, qui est Jésus de Nazareth ? » Voici quelques extraits de leur confession.

YANNICK JADOT, candidat Europe Écologie les Verts (EELV)

“Je viens d’un village, avec son église, avec son clocher. J’ai fait mon catéchisme. On m’a donc enseigné la religion. Je trouve d’ailleurs qu’on n’enseigne pas assez les religions à l’école. Je ne veux pas parler de la pratique religieuse, mais de l’histoire des religions, qui permettrai­t d’apaiser un peu notre société fracturée. Pour en revenir à la figure de Jésus, il incarne à mes yeux la solidarité, le partage et la tolérance. Jésus ? Mais il serait écolo aujourd’hui, c’est certain ! Que nous dit la crise écologique, aujourd’hui ? Que nous dit Jésus ? Ils nous obligent à être lucides sur le consuméris­me, le productivi­sme, et la place acquise par l’argent et la finance dans notre monde. Pour moi, cela ne fait aucun doute, cette lucidité existe dans la figure historique de Jésus. Comment affronter collective­ment les grands défis qui nous font face ? Comment le faire en toute justice sociale ? Comment ne laisser personne au bord de la route ? Ce que j’apprécie chez Jésus c’est la radicalité. […] Pour moi, la vraie radicalité en politique, c’est avoir l’audace de rassembler. C’est quelque chose de christique.

MARINE LE PEN, candidate Rassemblem­ent national (RN)

Jésus est une figure si familière pour moi que cela n’est pas si simple d’en parler… Il me vient cette phrase d’Hélie Denoix de Saint Marc : « Si rien n’est sacrifié, rien n’est obtenu. » Pour moi, Jésus est le symbole même du sacrifice ; un sacrifice par amour. Ce sacrifice se décline de mille façons. Tout le monde n’a pas vocation à sauver les hommes évidemment ! Mais on peut sauver son pays par le sacrifice consenti de sa propre vie. À vrai dire, tous les sacrifices survenus dans l’histoire des hommes ne sont qu’un reflet du sacrifice du Christ. […] Je suis très sensible au message du pape François. Ses interventi­ons pendant l’année de la Miséricord­e (qui s’est déroulée du mois de décembre 2015 au mois de novembre 2016, NDLR) ont eu un écho profond en moi. Sans doute à cause de mon expérience difficile avec certains catholique­s intransige­ants… Enfant, j’avais coutume d’idéaliser l’enseigneme­nt de l’Église. Ensuite, j’ai été déçue par le comporteme­nt de certains. Mais, coup de chance, cela n’a jamais égratigné ma foi ! J’ai fini par séparer les deux. D’un côté la foi, de l’autre les chrétiens.

EMMANUEL MACRON, candidat La République en marche ! (LREM)

[Dans l’enfance] je me suis mis à lire. Ces lectures étaient ambivalent­es… Il ne s’agissait pas des Confession­s de saint Augustin mais de Gide puis d’une certaine littératur­e catholique française : Bernanos et, un peu après, Claudel. J’ai eu un moment de ma vie résolument plus « mystique ». J’ai eu le sentiment d’avoir compris quelque chose, j’ai voulu comprendre davantage, j’ai ressenti…

Il y avait chez moi la volonté d’un lien avec une transcenda­nce. J’ai assumé tout cela familialem­ent. J’ai donc souhaité être baptisé (à l’âge de 12 ans, NDLR). Mon itinéraire allait de pair avec tous les rituels d’une école privée catholique sous contrat, comme la communion. Mon baptême, c’est donc le mélange d’un sentiment intime, métaphysiq­ue, et du contact avec d’autres jeunes gens engagés dans la même démarche. À la suite de mon baptême, j’ai eu un véritable engagement pendant deux ou trois ans. Cet engagement va s’étioler pour différente­s raisons. Pourquoi ? Sans doute parce que je n’aimais pas tous les rites qui allaient avec le catholicis­me ni leur caractère enfermant. Cela dit, j’ai toujours gardé cette intuition au fond de moi. […]

Il y a deux choses qui structuren­t mon rapport à la religion. La première, c’est le fait que je ne mette rien au-dessus d’un certain lien avec la métaphysiq­ue parce que cette dernière fait partie de notre vie. La seconde, c’est le rapport au texte lui-même. Le rapport au texte sacré est toujours révélateur de la manière dont on considère la religion, le culte et la vie en société. Propos recueillis par Samuel Pruvot, extraits de « Les Candidats à confesse » (Le Rocher, 2017).

JEAN-LUC MÉLENCHON, candidat de La France insoumise (LFI)

Si je voulais être taquin, je retiendrai­s dans Jésus la figure subversive. Nombre en font souvent un personnage consensuel et oecuméniqu­e. Mais Matthieu, dans son Évangile, lui fait dire ceci : « Ne pensez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre. Je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive. Oui, je suis venu séparer l’homme de son père, la fille de sa mère, la bellefille de sa belle-mère. On aura pour ennemis les gens de sa propre maison. » (Matthieu 10, 34-36). Autrement dit, il

“Je jouais au chef

de bande avec les autres enfants de choeur. Le curé avait dit à ma mère : « Vous n’en tirerez rien ! C’est un révolté ! »”

JEAN-LUC MÉLENCHON

embrasse la conflictua­lité pour créer la conscience. Sur ce point christiani­sme et marxisme ont un outil commun. Toujours dans Matthieu, on trouve aussi un discours égalitaire : « Il est plus facile à un chameau de passer par un trou d’aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume des Cieux. » (Matthieu 19, 24). Croyez aussi qu’un tribun du peuple savoure un Évangile qui commence par affirmer qu’au début de tout il y a la vibration de la Parole (Jean 1, 1).

[…]

On a voulu m’inscrire à la JEC (Jeunesse étudiante chrétienne), mais il a fallu m’exfiltrer. J’étais trop rebelle. Cela dit, je garde un bon souvenir des curés à Elbeuf. Il n’y avait plus de place à l’école publique. Ces hommes-là ont réussi à m’apprendre le latin et cela m’a servi ensuite pour toutes mes études. Ils étaient bons pédagogues. J’avais envie de réussir. Je jouais au chef de bande avec les autres enfants de choeur. Le curé avait dit à ma mère : « Vous n’en tirerez rien ! C’est un révolté ! » J’ai un souvenir très précis de la coupole [de l’église d’Yvetot (76)]. Dieu était au milieu des nuages avec sa grande barbe. Il tenait autant de Yahvé que de Zeus ! J’étais sous l’oeil de Dieu directemen­t. Moi j’étais thuriférai­re et je m’occupais de l’encens. Et je chantais Lauda Jérusalem ! Ça tenait de la magie.

VALÉRIE PECRESSE, candidate Les Républicai­ns (LR)

Je dois préciser d’abord qui je suis. Je suis une femme profondéme­nt laïque depuis mon engagement en politique. La laïcité est la seule façon de faire vivre les Français ensemble.

[…]

Maintenant, je suis catholique, c’est une question d’héritage. Je n’ai jamais voulu m’en cacher. Cela n’exclut pas les doutes et les questionne­ments évidemment. C’est quelque chose de très… intérieur. La figure de Jésus peut inspirer bien au-delà de l’univers catholique. Il y a un message d’amour qui me frappe.

« Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » Ce message est universel. C’est un message qui peut paraître un peu fou. Donner sa vie pour ceux qu’on aime, ce n’est pas très raisonnabl­e ! Dans la vie de Jésus, on trouve des conseils vraiment étonnants sur l’amour… Je trouve ses paroles très puissantes. « Les premiers seront les derniers » ; « Ce que vous ferez aux plus petits, c’est à moi que vous le ferez. » Il y a chez Jésus une attention aux autres incomparab­le, un sens du sacrifice extraordin­aire. Un geste de Jésus me touche en particulie­r, c’est le lavement des pieds (Jean 13, 1-17). Cela veut dire que chaque personne en face de moi a de la dignité. Il n’y a plus de maître ni d’esclave.

[…]

Jésus nous incite à servir. C’était d’ailleurs la devise de mon école, Ginette à Versailles. Je me sens au service des Français. Je ne me reconnais pas dans une dimension verticale du pouvoir. Pour moi, le pouvoir doit être un service. Je me suis engagée dans cet esprit.

ÉRIC ZEMMOUR, candidat de Reconquête !

J’ai été éduqué dans une culture traditionn­elle juive, donc la figure de Jésus est pour moi très paradoxale. Dans mon éducation, Jésus était d’une part un immense rabbin, il était dans la grande tradition juive des prophètes, etc. Et en même temps, il y avait la grande querelle religieuse qui est la suivante : est-il le fils de Dieu ou Dieu ? J’entends mon père me dire

« Évidemment Jésus Christ était fils de Dieu ! Mais on est tous les fils de Dieu ! »

[…]

[Jésus] établit une différence entre le spirituel et le temporel. Personnell­ement, par la France, j’adopte cette règle, je ne cesse de le répéter mais personne ne veut le comprendre ! Cela ne veut pas dire que je me convertis, cela ne veut pas dire que je tranche cette querelle de la déité de Jésus, mais cela veut dire que je m’inscris dans cette civilisati­on !

[…]

La France est forgée par le christiani­sme. Et c’est la phrase d’André Suarès, un auteur juif des années 1930, que j’aime beaucoup qui dit : « Qu’il aille ou non à l’église, le Français a les Évangiles dans le sang. » Et je suis français !

Extraits du hors-série de la revue trimestrie­lle Mission, qui sera disponible dans les kiosques à partir du 29 mars (48 p., 4,90 €).

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