MICROFICTIONS : MAXI CHEF-D’OEUVRE
Le tome III des « Microfictions » de Régis Jauffret porte à 1500 le nombre de ses contes noirs, à la fois cruels et désopilants.
Il y a quinze ans, un monument est sorti : Microfictions de régis Jauffret (2007). Cinq cents nouvelles de deux pages en un volume. Jauffret emboîtait le pas de balzac, qui désirait « faire concurrence à l’état civil » avec ses 1 843 noms de personnages. Le tome ii est sorti en 2018 et le nouveau, Microfictions 2022 paraît cette semaine. Jauffret en est désormais à 1500 vies cabossées. Certes, ces deux romanciers se prennent pour
Dieu en créant des existences mais la forme de Jauffret semble plus adaptée à notre époque de solitude débordée. ses microfictions sont toujours entrecoupées de quatre ou cinq phrases de dialogues, comme des respirations dans la noyade. Ce sont des contes brefs et sardoniques, des situations désespérées, des polaroïds sombres : beaucoup de crimes (viols, meurtres, violences conjugales) et des suicides, des sDF, des enfants abandonnés. Jauffret ne s’intéresse pas au bonheur. N’oublions pas qu’il dirigea dans les années 1990 la revue Dossiers criminels.
il est intéressant de comparer les trois tomes pour connaître l’évolution du malheur humain. il y a quinze ans, l’accumulation maniaque des tragédies déclenchait chez le lecteur une fascination révulsée. Microfictions
était un chef-d’oeuvre de nihilisme comique, qui fut logiquement couronné par le grand prix de l’humour noir.
L’homme était un individu atrocement seul qui attendait la mort dans un HLM grisâtre, battu par sa femme et méprisé par ses enfants. aujourd’hui, ça ne va pas mieux : c’est un vieux fou qui pousse un chariot vide dans un supermarché avant de regarder un film porno, mais aussi une infirmière qui se fait défigurer par ses voisins paranoïaques (la pandémie est passée par là). en quinze ans, c’est surtout l’écriture de régis Jauffret qui s’est transformée. son délire est plus dense, tantôt télégraphique, tantôt poétique. en 2007, l’auteur de Fragments de la vie des gens (2000) et Univers, univers (prix décembre 2003) cherchait à choquer, à révulser, à flirter avec les limites. un soir de 2008, il organisa une lecture de ses microfictions au théâtre du rond-Point : il pleurait de rire en lisant les plus violentes, tel Kafka déclamant Le Procès devant ses amis. en 2018, on sentait déjà un basculement : la méthode d’écriture était presque devenue automatique. Jauffret semblait l’algorithme de « toutes les vies à la fois ». en 2022, le scandale est plus profond. il y a moins de meurtres et plus de microbes, moins de bourreaux et davantage de victimes. À 66 ans, Jauffret rit toujours mais de ce qui l’attend.
Microfictions 2022, de Régis Jauffret,
Gallimard, 1 024 p., 26 €.