UNE ENVIE TOUJOURS AUSSI FORTE MALGRÉ DES QUESTIONS SANS RÉPONSE
Face à des Bourses en forte baisse et de grosses incertitudes sur l’avenir, l’immobilier reste plus que jamais une valeur refuge. Mais il faut bien reconnaître qu’évaluer l’impact futur de la guerre en Ukraine, du retour de l’inflation ou de la hausse des taux n’a jamais été aussi difficile.
Un rempart face aux menaces. La crise sanitaire avait démontré ou plutôt rappelé l’importance du logement en tant que cocon protecteur et la tendance ne fait que se confirmer dans le contexte actuel. « Si le sujet du logement n’apparaît pas dans les préoccupations de nos candidats à la présidentielle, le besoin de protection des Français est plus fort que jamais, estime Laurent Demeure, président de Coldwell Banker France & Monaco. Que ce soit face à l’inflation, au plongeon de la Bourse, à la hausse des taux ou à la guerre en Ukraine, c’est toujours l’immobilier qui reste la valeur refuge. » Un moteur puissant pour le marché qui pousse ce dirigeant à être confiant pour 2022 avec une activité tirée par le fort dynamisme de la côte atlantique enregistré dans son enseigne.
« Il faut rappeler que sur ces derniers mois, le marché est resté toujours aussi dynamique à travers la France, si l’on excepte Paris, souligne Jean-Marc Torrollion, président de la Fnaim. La hausse des prix est encore de 1,8 % sur 3 mois et de près de 8 % sur une année glissante. » Une activité qui risque de déboucher assez rapidement sur une forme d’assèchement du marché. Sur les 12 derniers mois, la Fnaim observe ainsi une chute de 12 % de l’offre et même de 13 % en Île-de-France. « Après deux années de hausses ininterrompues des ventes, nous ne pourrons plus aller au-delà, explique Guillaume Martinaud, le nouveau président du réseau Orpi. Nous n’atteindrons pas les 1,2 million de ventes de l’an passé. »
« Le phénomène qui va marquer l’année 2022, c’est celui du juste prix et du retour des négociations, affirme de son côté Yann Jéhanno, président de Laforêt. Aujourd’hui, un bien parfait part très rapidement s’il est bien distribué, orienté et placé. Dès qu’il y a un moindre défaut, on voit le retour des négociations et des acquéreurs qui prennent plus leur temps. » Et de fait, la quasi-totalité des professionnels s’accordent à constater une hausse des délais de vente mais aussi des marges de négociation. À Coldwell Banker, on relève quelques difficultés à Paris pour s’entendre entre
vendeurs et acheteurs, les seconds réclamant des rabais pouvant atteindre 15 %.
« La psychologie des acheteurs, notamment de la jeune génération, a changé, analyse pour sa part Alexander Kraft, président de Sotheby’s International Realty France - Monaco. Ils sont prêts à travailler en dehors des grandes villes, pourvu qu’ils trouvent un bien confortable avec une pièce supplémentaire, une cuisine ouverte, un balcon ou encore une piscine. » Mais au-delà de ces évolutions de marché, les vraies interrogations du moment concernent l’impact à attendre de la guerre en Ukraine, mais aussi et surtout de tendances déjà enclenchées avant le début du conflit : le retour de l’inflation et la remontée des taux d’intérêt. Ces questions sont d’ailleurs si fortes qu’elles rejettent très loin en arrière-plan l’enjeu de l’élection présidentielle. Ce scrutin qui cause généralement un certain attentisme du marché semble cette fois-ci sans impact.
L’acier s’envoLe
En revanche, la lente remontée des taux associée à un maintien voire une hausse des prix suscite quelques inquiétudes. « Il y a un vrai risque d’effet ciseaux, estime Jean-Marc Torrollion. La hausse des taux d’intérêt pourrait désolvabiliser une partie des acheteurs. Entre les banques qui réclament 15 à 20 % d’apport et des vendeurs qui refusent d’ajuster les prix, la situation peut se tendre. » Indirectement, la guerre en Ukraine peut également contribuer à maintenir des prix élevés. La hausse du prix des matières premières va en effet renchérir l’immobilier neuf et renvoyer une part de la clientèle vers l’ancien tandis que l’envolée des tarifs de l’énergie peut inciter à des rénovations coûteuses. « Si la situation sur la pénurie de bois semble en passe de s’arranger, la hausse de 50 % du cours de l’acier et l’explosion des tarifs de transport auront un impact fort, souligne Gabriel Franc, directeur général du Groupe Franc Architectures. Les bardages et charpentes métalliques mais aussi les fontes, limailles et ferrailles sont concernés, sans oublier les métaux rares dont on a besoin dans les chauffages ou les systèmes de climatisation. » Malgré ces incertitudes et ces signaux inquiétants, le marché reste plus que jamais à deux vitesses. Si les grandes villes, avec Paris en tête, connaissent des corrections de prix sur les biens « standards » ou avec défauts, le haut de gamme et le luxe sont toujours en pleine forme. Et le désamour des métropoles est loin d’être généralisé. « Les grandes villes comme Lyon et Paris (notamment les 11e et 12e) gardent la cote pour ceux qui ont soif d’interactions sociales », note ainsi Alexander Kraft. « À Paris, le marché est moins déséquilibré que par le passé et la clientèle aisée a encore de beaux jours devant elle dans la capitale, analyse Sébastien Kuperfis, PDG du groupe Junot. Il y a plus d’offres que dans certaines villes de province très tendues et les prix restent relativement stables. »
« Les familles françaises achètent toujours autant à Paris,
confirme Martial Michaux, directeur de l’agence Émile Garcin Le Marais. Elles ont simplement recentré leurs besoins, avec une quête d’espace en plus, comme un bureau, une chambre pour chaque enfant, plus de lumière, une terrasse. » Et au-delà de cette recherche récurrente d’espaces extérieurs héritée de la crise sanitaire, on en revient aux classiques avec notamment une attention accrue à la proximité de bonnes écoles. « L’enjeu scolaire est essentiel pour une clientèle familiale qui n’a pas voulu s’éloigner de Paris notamment pour cela, relève Céline Thieriet, cofondatrice de l’enseigne de chasseurs immobiliers Perle Rare. Nous avons bon nombre de demandes avec un périmètre très réduit autour des écoles visées. »
Restent deux activités immobilières où les désordres actuels pourraient avoir un impact fort : la construction neuve et les ventes aux étrangers. La première, en crise depuis de longs mois déjà avec des mairies réticentes à libérer du foncier et des procédures qui ne cessent de se multiplier, va être touchée de plein fouet par les hausses de prix. « Malgré un contexte difficile, nous avions pu signer tous les projets escomptés en 2021, mais pour 2022, c’est la grande inconnue », admet Patrice Pichet, fondateur du groupe de promotion immobilière qui porte son nom. L’incertitude sur le prix des matières premières pourrait d’ailleurs pousser à recourir, comme cela s’est déjà fait par le passé, à des marchés qui ne seraient pas conclus à un prix ferme mais qui s’adapteraient à l’évolution des cours du moment.
incertitude pour Les étrangers
Quant à la clientèle internationale, dont l’envie de revenir sur le marché immobilier français était incontestable ces derniers mois, elle pourrait être refroidie par le contexte de guerre avec la Russie. « Pour l’instant, c’est très marginal, estime Sébastien Kuperfis. Nous avons eu un client russe qui s’est rétracté d’un gros deal et des Américains qui ont suspendu leurs recherches. Et dans ce deuxième cas, cela n’avait rien à voir avec la guerre mais avec le fait qu’ils s’étaient fait voler une montre de grande valeur. » Il est vrai que les effets en cascade sont durs à mesurer. Si certains clients américains peuvent estimer que l’Europe est trop proche de l’Ukraine pour être tout à fait sûre, d’autres clients étrangers seraient susceptibles de profiter de la baisse de l’euro pour faire de bonnes affaires. C’est en tout cas un moteur assez fort pour les Français expatriés de plus en plus présents sur les marchés haut de gamme.