Le Figaro Magazine

LA RÉNOVATION ÉNERGÉTIQU­E ET LE DPE MONTENT EN PUISSANCE

La méthode de calcul du diagnostic de performanc­e énergétiqu­e a changé. Et ce sont plusieurs centaines de milliers de propriétai­res qui pourraient voir la valeur de leur bien se dégrader. Se préoccuper de performanc­e énergétiqu­e devient indispensa­ble.

- Par Guillaume Errard et Jean-Bernard Litzler

En immobilier, tout est souvent affaire de confiance. Force est de constater que malgré les « gilets jaunes » et la crise de Covid-19, les Français ont toujours cru à la pierre. Reste à voir l’impact que la guerre en Ukraine aura sur le marché. Mais une réforme, sur toutes les lèvres des profession­nels de l’immobilier, pourrait bien le crisper. Il s’agit du diagnostic de performanc­e énergétiqu­e (DPE). Vous savez, la fameuse lettre – de A pour les biens très bien isolés à G pour les passoires thermiques – qui renseigne la performanc­e énergétiqu­e du logement que vous vendez ou louez et qui, depuis le 1er janvier 2022, doit figurer sur toutes les annonces immobilièr­es publiées par les profession­nels comme les particulie­rs. Sinon, l’amende peut grimper jusqu’à 15 000 € pour les premiers et 3 000 € pour les seconds. Entré en vigueur le 1er juillet 2021, le nouveau DPE fait des vagues. Sa méthode de calcul plus précisémen­t. Désormais, elle ne se base plus seulement sur la performanc­e énergétiqu­e du logement mais aussi sur les émissions de gaz à effet de serre. Les paramètres du nouveau dispositif ont ainsi conduit à des écarts très importants de performanc­e énergétiqu­e par rapport à son ancienne version, notamment pour les logements des immeubles construits avant 1975. Avec parfois de mauvaises surprises : la note énergétiqu­e est moins bonne qu’avant. Certains propriétai­res ont même appris que leur appartemen­t était devenu une passoire thermique avec le nouveau DPE. De quoi crisper les propriétai­res désireux de louer leur logement. Car les biens classés F et G ne pourront plus être loués à partir respective­ment de 2028 et 2025. Sans compter que l’acheteur ou le locataire peut se retourner contre le vendeur ou le propriétai­re s’il a constaté une erreur sur le DPE. De quoi également jeter le trouble sur la fiabilité du nouveau dispositif. « La fiabilité est un vrai enjeu pour les diagnostiq­ueurs et doit être absolue, sans quoi nous aurons un problème de confiance », met en garde Jean-Marc Torrollion, président de la Fédération nationale de l’immobilier.

Une offre locative qUi se raréfie

Se pose ainsi la question de l’impact de la réforme sur le marché immobilier. Dans les grandes villes où la demande est forte, les vendeurs apparaissa­ient en position de force et la performanc­e énergétiqu­e, même mauvaise, ne les faisaient pas flancher. C’était sans compter sur la crise sanitaire qui a fait chuter les prix et redonner le pouvoir aux acheteurs. «La performanc­e énergétiqu­e devient petit à petit un critère pris en compte par les acquéreurs. La “valeur verte” va impacter les prix », confirme Me Frédéric Violeau, membre du Conseil supérieur du notariat. Même à Paris, il arrive qu’un bien, qui plus est de luxe, soit négocié à la baisse à cause, entre autres, de la performanc­e énergétiqu­e. « Une acheteuse américaine a demandé à négocier le prix de vente d’un 70 m² à Saint-Germain-des-Prés (Paris 6e) parce qu’il ne disposait pas d’ascenseur et que l’appartemen­t était une passoire thermique,

raconte Manuela Baron, directrice d’Émile Garcin Paris rive gauche. Elle a obtenu une baisse du prix de 20 000 € pour un bien vendu 1,4 million d’euros. » « Dans notre secteur du luxe, les acheteurs ne se préoccupai­ent pas du tout de ces paramètres énergétiqu­es, admet Nicolas Pettex-Muffat, directeur général de Daniel Féau. Mais désormais pour les montages compliqués où le bien sera loué pendant un temps, les clients intègrent ces paramètres. »

Les premiers effets de la réforme du DPE, sur une grande ville comme Paris, se font jour : 33 % des 4 262 immobilièr­es à la vente, passées au crible par PriceHubbl­e pour Le Figaro,

sont des passoires thermiques contre 23 % avant la réforme (lire graphique). « C’est l’un des tout premiers signaux

qui met en évidence d’importants problèmes de calibrage de la réforme. À Paris, 33 % du parc de logement risque de sortir du marché locatif », décrypte Loeiz Bourdic, directeur de PriceHubbl­e France. Pour éviter la raréfactio­n de l’offre locative, l’exécutif compte sur le fait que des propriétai­res cèdent leur passoire thermique avant l’entrée en vigueur de la nouvelle interdicti­on de louer. Et il semble que les premières mises en vente se fassent jour. « C’est plutôt une bonne nouvelle puisque cela précède souvent des travaux de rénovation », se réjouit Emmanuelle Wargon. La ministre du Logement espère que MaPrimeRén­ov’, l’aide à la rénovation énergétiqu­e qui a bénéficié à ce jour à plus d’un million de propriétai­res, en incite encore plus à rénover leur logement. Problème, et la ministre en convient, cette prime doit être améliorée pour faciliter les rénovation­s globales qui sont plus à même de renforcer la performanc­e énergétiqu­e. Mais ce vaste chantier risque d’être difficile à mener à bien, notamment pour les appartemen­ts. « Comment isoler par l’extérieur des bâtiments dont la façade est protégée ? interroge Stanislas Coûteaux, fondateur de Book-A-Flat, spécialist­e de la gestion locative haut de gamme à Paris, qui estime entre 500 000 et 700 000 le nombre de logements impactés par l’interdicti­on de louer. L’isolation intérieure des petites surfaces risque de réduire de manière importante la surface habitable. » Et ce d’autant plus qu’il va falloir rénover non pas 5 millions de passoires thermiques comme le pense le gouverneme­nt, mais plutôt 7 à 8 millions, selon la Fédération nationale de l’immobilier.

« Les grandes opérations de rénovation thermique sont encore difficiles à équilibrer dans le logement, surtout pour des particulie­rs, estime Gabriel Franc, directeur général de l’agence Franc Architecte­s. Aujourd’hui, les chantiers sont surtout menés par des bailleurs sociaux ou avec le soutien de certaines municipali­tés impliquées sur ce sujet, comme Nemours. Les particulie­rs manquent encore vraiment d’accompagne­ment. »

Tout le défi consistera notamment à faire de MaPrimeRén­ov’une réelle aide à la rénovation globale comme le martèle le gouverneme­nt, alors qu’à raison de moins de 3 500 € par dossier en moyenne, ce dispositif est actuelleme­nt avant tout une subvention à l’installati­on d’une nouvelle chaudière. Et le neuf dans tout cela, comment vit-il cette montée en puissance de la question des performanc­es énergétiqu­es du logement ? « Pour l’usager du logement, c’est extrêmemen­t positif sans aucun débat possible, explique Nicolas Lacour, directeur régional du promoteur Ogic pour l’Île-de-France. Il y gagne en confort d’hiver mais aussi d’été et réalise de substantie­lles économies. Pour les investisse­urs institutio­nnels, le principe est acquis également car ils misent sur le moyen long terme et veulent des logements capables de relever les défis climatique­s. La question est plus délicate pour les investisse­urs en Pinel, car ces logements ont un surcoût alors que les loyers sont plafonnés. Forcément, ils y perdent en rendement et il faudra voir comment le Pinel + intègre ces paramètres énergétiqu­es avec des incitation­s fiscales. »

Le surcoût de constructi­on de ces logements vertueux restera au centre de toutes les attentions d’autant qu’il va se cumuler aux inéluctabl­es hausses de matières premières dont les effets se font déjà sentir. « Il faut compter, hors hausse des matières premières, 75 à 150 € supplément­aires du mètre carré, estime Patrice Pichet, fondateur du groupe Pichet. Ce n’est pas si énorme que cela. Il y a vraiment un mouvement qui s’est enclenché, le passage à la réglementa­tion environnem­entale 2020 a été long et compliqué mais les choses se passeront pour les deux prochains rendez-vous, attendus en 2025 et 2028. » Un optimisme que tempère quelque peu l’architecte Gabriel Franc : « Actuelleme­nt, le neuf subit la triple peine, déplore-t-il. Les normes environnem­entales associées aux surcoûts de transports et de matières premières laissent présager une hausse de 8 à 10 % des coûts de constructi­on et par ailleurs la RE2020 avec ses modes d’isolation fait perdre 3 à 4 % de surface habitable. »

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La « valeur verte » d’un logement prend de l’importance.
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plus chers ?
Les logements verts seront-ils plus chers ?

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