Ce qui se CaChe deRRièRe la finanCe viRtuelle
Il existe près de 14 000 cryptoactifs, avec des parcours très contrastés. Pour éviter les pièges d’un placement hautement volatil, découvrez les rouages de cet écosystème atypique.
Réservées jusqu’à présent à des initiés, les cryptomonnaies débarquent peu à peu dans notre quotidien. À l’image du bitcoin qui a été déclaré, en septembre dernier, monnaie officielle du Salvador. Quelques mois auparavant, le 14 avril 2021, Coinbase, l’une des plus grosses plates-formes d’échange de cryptomonnaies, faisait une entrée fracassante à la Bourse de New York. Tout un symbole ! Mais si ces actifs numériques sont de plus en plus médiatisés, la façon dont ils circulent de main en main au sein de systèmes informatiques dédiés – les fameuses blockchains – demeure obscure pour le commun des mortels.
Les mantras des développeurs informatiques, créateurs de réseaux blockchains tels que Bitcoin, Ethereum, Solana ou Polkadot ? Créer des réseaux décentralisés, partagés et infalsifiables. Réseaux auprès desquels les épargnants vont pouvoir échanger leurs cryptomonnaies.
DES SYSTÈMES DÉCENTRALISÉS, SANS INTERMÉDIAIRE
« La blockchain, ce sont quelques pages de codes informatiques qui forment la colonne vertébrale du système et précisent le protocole d’enregistrement des transactions, indique Vincent Boy, analyste marché au sein du courtier IG France. Elle est comparée à un grand livre qui va exécuter puis enregistrer de façon définitive toutes les transactions effectuées par ses utilisateurs. » La première caractéristique d’une blockchain est donc d’être décentralisée. Les transactions s’effectuent entre deux individus, sans l’intervention d’un intermédiaire. Elle est ensuite partagée : il s’agit d’un livre ouvert et chaque utilisateur peut aller dans ce registre pour vérifier la nature d’un échange. Elle est, enfin, quasi infalsifiable. Les transactions vont s’enregistrer sur les ordinateurs d’utilisateurs qui ont décidé de devenir validateurs. Ils disposent d’un matériel suffisamment puissant pour détenir une copie du registre. Pour falsifier une donnée, il faudrait que tous les possesseurs de cette copie effectuent au même moment la même modification, ce qui est quasi impossible puisque les utilisateurs ne se connaissent pas. Ce n’est pas la seule sécurité du système. Si l’on parle de chaîne de blocs, c’est qu’il faut attendre qu’un certain nombre de transactions aient été effectuées avant qu’elles soient validées et définitivement enregistrées sous la forme d’un bloc de données, lié aux blocs précédents et formant ainsi une chaîne de data.
Pour effectuer cette opération appelée « minage », les validateurs sont mis en concurrence. Le premier à résoudre l’équation complexe imposée par le système pour valider le bloc de données sera déclaré mineur du bloc. Acteurs stratégiques, les mineurs sont rémunérés via l’émission de cryptomonnaies et la perception de frais facturés au cours des transactions financières, les frais de gaz.
À L’ORIGINE ÉTAIT LE BITCOIN
Tout a commencé dans les années 1990 avec l’arrivée d’internet. Des informaticiens et des mathématiciens tentent de créer, sans y parvenir, un système d’échange électronique, anonyme, transparent, sans intermédiaire et libre de toute tutelle. Il faudra attendre le 31 octobre 2008 pour que l’idée aboutisse. Alors que la crise des subprimes fait rage, pointant du doigt les dérives de la finance et les défaillances de ses régulateurs, un certain Satoshi Nakamoto publie le livre blanc qui renferme le code du bitcoin. Pour fonctionner, une blockchain doit ériger sa monnaie numérique. Celle-ci sera émise pour rémunérer les mineurs et sera utilisée par les investisseurs pour régler les frais de gaz. Pour la blockchain Bitcoin, ce sera le bitcoin. Le début d’une grande aventure. « Le système Bitcoin est minimaliste, précise Mark Kepeneghian, fondateur de Kriptown, une plateforme favorisant le financement des PME via l’émission d’actifs numériques. Il a pour mission de favoriser les transactions de sa cryptomonnaie, indépendamment des institutions financières. » Les blockchains qui seront ensuite créées, tout en s’inspirant des fondements établis par Satoshi Nakamoto, vont apporter de nouveaux services, favorisés par l’émergence d’innovations. Ainsi l’Ethereum et sa cryptomonnaie, l’ether, voient le jour le 30 juillet 2015. « Ce réseau va se distinguer en développant de nouvelles fonctionnalités dont l’une va s’imposer comme majeure par la suite, les “smart contracts”, observe Pierre-Yves Dittlot, président de Ledgity, fournisseur de produits d’investissement (cryptoactifs, private equity) pour les conseillers financiers. Ces contrats intelligents sont en réalité des programmes codés qui vont exécuter de façon autonome et automatique des actions sur la blockchain, dès que les conditions du contrat sont remplies. Ils sont également capables de dialoguer avec d’autres smart contracts pour exécuter des opérations plus complexes. C’est à partir de ce type d’applications que va se développer le concept de finance décentralisée. »
La finance décentralisée justement, appelée également « DeFi », est accessible sur certaines blockchains dont les plus populaires sont Ethereum (avec sa cryptomonnaie l’ether), Terra (luna), Solana (sol), Avalanche (avax) et Binance Smart Chain (binance coin). « Il s’agit d’une alternative au système bancaire traditionnel visant à faciliter l’accès aux services financiers, puisqu’il suffit d’avoir une connexion internet et une adresse sur la blockchain via son portefeuille, ou “wallet”, pour bénéficier de ces services, estime Hugo Bordet, responsable des affaires réglementaires à l’Adan, une association qui regroupe des professionnels des actifs numériques. Il est ainsi possible d’emprunter ou de prêter ses cryptomonnaies via le versement d’un intérêt à partir de la plate-forme Compound, par exemple, ou bien d’acheter ou de vendre des cryptoactifs à partir d’applications comme Uniswap ou Synthetix. » Des échanges réalisés sans intermédiaire, ce qui permet de bénéficier de meilleures conditions de rémunération que dans la finance classique et de façon discrète puisque l’identité des utilisateurs de ces services n’est pas révélée. Résultat, ce sont plus de 240 milliards d’actifs qui seraient ainsi placés au sein de la DeFi. Ethereum s’impose comme la principale blockchain de la DeFi. Des plates-formes concurrentes cherchent cependant à se frayer un chemin pour capter les investisseurs particuliers. Ainsi, Solana développe une technologie visant à réduire les temps de transaction tout en abaissant les frais associés. Actuellement, en fonction du volume des
transactions et du niveau de saturation de la blockchain dans le process de validation, le temps d’une transaction peut aller de quelques secondes à plusieurs heures, pour un coût compris entre 5 et 450 €.
DES STABLECOINS AUX NFT
Les cryptomonnaies (« tokens » en anglais) sont sans aucun doute les actifs financiers les plus échangés au sein de la planète DeFi. Mais il existe bien d’autres tokens monnayables et monnayés. « Pour se protéger d’une forte baisse anticipée de ses cryptomonnaies, sans être obligé de sortir de l’écosystème pour les échanger contre des euros ou des dollars, des sociétés comme Tether ou Circle ont eu l’idée d’émettre des stablecoins, respectivement le tether et l’USD coin, indexés sur le dollar, relate François Laviale, directeur de la gestion chez Alphacap DAM. Quoi qu’il arrive, ces tokens vaudront toujours 1 dollar et pourront être revendus pour acquérir des cryptomonnaies. » Actuellement, près de 40 milliards de tether circulent sur Ethereum.
A contrario, les NFT (non-fungible tokens) sont des jetons uniques stockés dans la blockchain. « Du fait de leur spécificité, les NFT permettent d’attribuer un certificat qui atteste du caractère unique d’un bien tangible (tableau, bouteille de vin ou de champagne) ou d’une oeuvre numérique (cryptoart, avatar, tweet, personnage de jeu vidéo), explique l’avocat Emmanuel Ronco, associé du cabinet Eversheds Sutherland. Ils se fondent sur des smart contracts qui précisent le propriétaire, la description du bien et les conditions de transfert. »
Bien plus qu’une simple technologie d’enregistrement de données, la blockchain fédère autour d’elle toute une communauté humaine. Certains de ses membres vont développer des logiciels visant à offrir de nouveaux services, participant par là même à l’attractivité de la blockchain. La plupart du temps, la sortie de l’application s’accompagne de l’émission d’utility tokens dont le nombre est souvent fixé à l’avance. Ces jetons sont distribués à ceux qui utilisent le service. Un moyen de promouvoir l’application, de fidéliser les clients mais aussi de financer les futurs développements.
Les bLockchains fédèrent des communautés humaines qui vont en déveLopper Les usages
Car si l’application s’avère un succès, les jetons associés seront recherchés par la communauté et ils vont prendre de la valeur. Le propriétaire de l’application pourra alors vendre les tokens qu’il a en stock contre du bitcoin ou de l’ether. C’est le cas du jeton UNI, en lien avec l’application Uniswap, qui centralise des liquidités et permet à des investisseurs d’emprunter pour acheter des cryptomonnaies, sans le moindre intermédiaire. Ce jeton a doublé de valeur depuis sa création, le 17 septembre 2020.
GARE AUX VARIATIONS
Mais quels sont les facteurs qui font évoluer les cours et comment expliquer l’extrême volatilité de ces cryptoactifs ? « Ils ont beau être numériques, la valeur de ces actifs varie en fonction d’événements issus du monde physique, comme la guerre en Ukraine, la reprise de l’inflation, l’annonce d’un patron influent de la tech ou des décisions gouvernementales impactant la réglementation des cryptoactifs, analyse Guillaume Eyssette, directeur associé du cabinet Gefinéo. Ainsi, quand la Chine annonce en mai 2021 qu’elle va interdire le minage du bitcoin sur son territoire, la cryptomonnaie chute de 40 % en 3 semaines, entraînant dans son sillage les autres tokens. Le dogecoin va bondir en quelques jours de 175 % après qu’Elon Musk, le patron de Tesla, annonce, en octobre dernier, en détenir. »
Le nombre d’utilisateurs et leur poids financier forment aussi de bons indicateurs. « Certaines cryptomonnaies sont entre les mains d’un petit nombre d’investisseurs qui ont alors le pouvoir d’influencer leur cours, souligne Nicolas Gaiardo, rédacteur en chef du site Warning-trading.com. Dogecoin attire plus de 4 millions d’utilisateurs et ses 100 plus gros détenteurs possèdent 70 % des jetons émis, une proportion qui tombe à 14 % pour le bitcoin qui, en outre, rassemble plus de 41 millions d’adeptes. » Plus la communauté d’une blockchain est active, fidèle et nombreuse, plus elle cherchera à acquérir des cryptoactifs et plus leur valeur progressera. Cela concerne avant tout les cryptomonnaies de référence comme le bitcoin ou celles qui se montrent innovantes avec, à la clé, de nouveaux usages. Mais pas toujours… Conçue au départ comme une bonne blague, une cryptomonnaie baptisée shiba inu offre peu d’applications. Elle est pourtant classée dans le top 20 des cryptos les mieux valorisées. Une situation paradoxale qui explique sans doute son extrême volatilité.