Le Figaro Magazine

GOÛTS DES UNS, DÉGOÛTS DES AUTRES

- Paulin Césari

Cuisinier étoilé, Mory Sacko propose à ses invités une énième resucée de la « world food » revisitée. Adepte de la « créolisati­on » culinaire, il a donc les faveurs du temps. Mais pas seulement.

La Pensée parfois l’effleure. Interviewé par le magazine GQ, l’aubergiste inspiré a récemment déclaré : « La seule chose qui soit infaillibl­e, c’est notre goût. Le goût dicte tout. » Le goût ? Autrement dit le désir, car avoir le goût d’une chose équivaut à la désirer et réciproque­ment. Conséquenc­e : le désir ne pourrait jamais se tromper, il serait infaillibl­e. Mais aussi irrépressi­ble, puisqu’il « dicte tout ». La tyrannie du désir serait donc chose désirable puisqu’elle nous conduirait nécessaire­ment au Vrai, au Bien, au Bon, qui n’en seraient que des produits dérivés. Spinoza, dont Mory Sacko fut sans doute l’élève, le disait déjà : « Nous ne désirons pas une chose parce que nous la jugeons bonne, mais nous la jugeons bonne parce que nous la désirons. »

Cette valeureuse domination du désir a cependant une conséquenc­e embarrassa­nte. Si tous les goûts et désirs sont dans la nature humaine, alors les goûts et désirs contraires y sont aussi. Et si tous sont infaillibl­es et irrépressi­bles, tous ont le même droit à l’existence sans limite imposable. Ils ne peuvent alors qu’infaillibl­ement s’opposer et s’entre-déchirer avec la même légitimité. On voit par là qu’en matière de goût comme en d’autres, la coexistenc­e pacifique des contraires est un mythe. Et qu’en l’absence de synthèse supérieure, le goût des uns produit souvent, pour ne pas dire toujours, le dégoût des autres.

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