GOÛTS DES UNS, DÉGOÛTS DES AUTRES
Cuisinier étoilé, Mory Sacko propose à ses invités une énième resucée de la « world food » revisitée. Adepte de la « créolisation » culinaire, il a donc les faveurs du temps. Mais pas seulement.
La Pensée parfois l’effleure. Interviewé par le magazine GQ, l’aubergiste inspiré a récemment déclaré : « La seule chose qui soit infaillible, c’est notre goût. Le goût dicte tout. » Le goût ? Autrement dit le désir, car avoir le goût d’une chose équivaut à la désirer et réciproquement. Conséquence : le désir ne pourrait jamais se tromper, il serait infaillible. Mais aussi irrépressible, puisqu’il « dicte tout ». La tyrannie du désir serait donc chose désirable puisqu’elle nous conduirait nécessairement au Vrai, au Bien, au Bon, qui n’en seraient que des produits dérivés. Spinoza, dont Mory Sacko fut sans doute l’élève, le disait déjà : « Nous ne désirons pas une chose parce que nous la jugeons bonne, mais nous la jugeons bonne parce que nous la désirons. »
Cette valeureuse domination du désir a cependant une conséquence embarrassante. Si tous les goûts et désirs sont dans la nature humaine, alors les goûts et désirs contraires y sont aussi. Et si tous sont infaillibles et irrépressibles, tous ont le même droit à l’existence sans limite imposable. Ils ne peuvent alors qu’infailliblement s’opposer et s’entre-déchirer avec la même légitimité. On voit par là qu’en matière de goût comme en d’autres, la coexistence pacifique des contraires est un mythe. Et qu’en l’absence de synthèse supérieure, le goût des uns produit souvent, pour ne pas dire toujours, le dégoût des autres.