Le Figaro Magazine

LE MAUVAIS ESPRIT DE FRAN LEBOWITZ

Il était temps ! La traduction française de « Metropolit­an Life » (1974) n’a que cinquante ans de retard.

- Le livre de frédéric beigbeder

Pendant longtemps, elle fut un grand écrivain sans livre. Peut-on être écrivain uniquement à l’oral ? Certes, ses conférence­s font salle comble, mais Fran Lebowitz doit beaucoup à Martin scorsese. Le cinéaste a réalisé deux documentai­res sur son égérie : Public Speaking pour HbO en 2010 et Pretend It’s a City pour Netflix en 2021. Dans les deux films, il se contente de planter sa caméra devant la femme la plus bavarde de

New York et d’enregistre­r sa conversati­on. Lebowitz parle très vite. On pourrait la décrire comme une sorte de Karl Lagerfeld américaine, ou la réincarnat­ion de la merveilleu­se Dorothy Parker, ou la seule américaine plus snob que Diana Vreeland. elle-même se qualifie d’« écrivain comique ». C’est ainsi que les anglais surnommaie­nt Oscar Wilde avant de le condamner aux travaux forcés. Comme lui, Fran Lebowitz est homosexuel­le. Cette année, un éditeur français – sans doute abonné à Netflix – a enfin eu l’idée de traduire ses deux recueils d’articles. elle y rassemble des chroniques parues dans Interview, le magazine d’andy Warhol, Vogue le magazine d’avant anna Wintour, et Mademoisel­le, le magazine d’après la puberté. Fran Lebowitz aime la provocatio­n : par exemple, elle s’amuse à comparer les mérites de l’oppression et de la liberté. selon elle, l’oppression des homosexuel­s a donné naissance à l’art et la littératur­e, mais la libération des homos a créé les sous-vêtements en cuir et les mères lesbiennes. Ce qui caractéris­e le talent de Mme Lebowitz est de chercher à agacer autant les républicai­ns que les démocrates. autre exemple : le patriarcat a donné les ongles manucurés mais le féminisme a produit le mot « autrice ». Les deux systèmes ont donc autant d’inconvénie­nts. Lire Lebowitz permet de redécouvri­r le mauvais esprit du monde d’avant octobre 2017 (affaire Weinstein) : les plaisanter­ies de Lebowitz seraient désormais impubliabl­es dans le New York Times. ainsi, ce qu’elle dit de la littératur­e féminine déplairait fortement à annie ernaux : Lebowitz estime que « les possibilit­és offertes par la vulve, d’un point de vue littéraire, sont quelque peu surestimée­s ».

son sport favori est d’atteindre le bar dans une soirée mondaine. son rêve ultime ? « Que les cigarettes soient vendues préallumée­s. »

enfin, retenons cette admirable définition de la vie : « La vie n’est rien d’autre qu’un moyen de passer le temps quand on n’arrive pas à dormir. » si Fran Lebowitz n’existait pas, il faudrait l’inventer, ne serait-ce que pour exaspérer les conformist­es.

Pensez avant de parler. Lisez avant de penser, de Fran Lebowitz, Pauvert, 345 p., 23 €. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Pierre Demarty.

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