Le Figaro Magazine

“MA CENTAINE D’HEURES D’ESSAYAGE AVEC LADY GAGA”

Rencontre avec Janty Yates, costumière du film « House of Gucci » de Ridley Scott, sorti à la fin de l’année dernière, dans lequel la star américaine est couverte de joaillerie.

- Propos recueillis par Élodie Baërd

Elle est l’une des costumière­s de cinéma les plus célèbres à Hollywood. Cette Anglaise a commencé sa carrière auprès d’un Français, Jean-Jacques Annaud, en 1981 sur le film La Guerre du feu. Depuis, Janty Yates a travaillé régulièrem­ent avec Ridley Scott, remportant l’Oscar de la meilleure création de costumes en 2001 pour Gladiator. L’an dernier, elle a paré de bijoux Lady Gaga pour son rôle dans House of Gucci, et tourne actuelleme­nt avec le réalisateu­r américain sur son prochain film, Napoléon, qui lui aussi affectionn­ait la joaillerie. Pour « House of Gucci », qui est très différent des autres films de Ridley Scott, vous avez échangé les armures d’acier contre des rivières de diamants… Avez-vous travaillé de la même façon que d’habitude ? Je commence toujours de la même manière. Je fais des recherches pendant des semaines et des semaines, jusqu’à ce que je connaisse le sujet sur le bout des doigts. J’écume les musées, les galeries d’art, les bibliothèq­ues et, bien sûr, je fouille beaucoup sur internet à la recherche d’informatio­ns. Je fais ça pour n’importe quel film. Ensuite, cela se complique quand les acteurs entrent dans la mêlée ! Dans beaucoup de projets, je travaille juste sur un scénario, sans acteurs, sans visages en tête, avant que ceux-ci soient choisis. Là, c’était différent, car il était prévu dès le départ que Lady Gaga jouerait le rôle de Patrizia Reggiani. L’accord était conclu d’avance quand Matt Damon et Ben Affleck ont écrit le scénario.

Ridley Scott a-t-il une idée précise de ce qu’il veut pour les costumes ? Comment travaillez-vous ensemble ?

Oui, il est très collaborat­if, il partage beaucoup d’informatio­ns. J’ai toujours un briefing approfondi de sa part avant de commencer. Ses

“LES BIJOUX SURLIGNENT TELLEMENT SON CARACTÈRE”

consignes pour House of Gucci étaient claires : il souhaitait que Lady Gaga, LG comme nous l’appelions, soit très formelle. Il ne voulait pas qu’elle porte ses robes de viande, si vous voyez ce que je veux dire… J’étais un peu nerveuse à l’idée de lui expliquer cela. Mais dès le premier Zoom que nous avons eu, et nous en avons eu beaucoup, elle m’a dit : « Je veux m’habiller comme ma mère. » Et je savais que sa mère était la quintessen­ce de la femme italienne. J’étais ravie, ça commençait bien !

Comment travaillez-vous avec les acteurs ?

C’est un échange. Je fais tout pour qu’ils se sentent bien dans leurs costumes, partant du principe qu’un acteur heureux joue mieux qu’un acteur malheureux ! Je travaille avec un atelier de couture, qui me fait des formes qu’ils essaient avant. Avec LG, je les ai envoyées à mon assistante à Los Angeles. Lors d’un des premiers rendez-vous à distance, nous avons même décidé des sousvêteme­nts pour s’assurer qu’elle se sente à l’aise. Ridley y tenait beaucoup, il avait insisté pour qu’elle ait une taille bien marquée et un air un peu « va-va-voom », sexy. Il y a eu un autre rendez-vous dédié uniquement aux articles vintage de Gucci. Chaque réunion durait trois, quatre heures… C’étaient des vraies séances d’essayage avec ses assistante­s, son coiffeur, son maquilleur, son coach d’actrice… Ils étaient tous là, chez ma collaborat­rice à Los Angeles, et moi à Londres derrière mon ordinateur. Tout cela a eu lieu pendant six à huit semaines avant le tournage. Puis, Lady Gaga est arrivée en Europe, et nous avons continué. Il y a eu encore une cinquantai­ne d’heures d’essayage. Tout cela était nécessaire, car elle avait 54 journées différente­s dans le scénario (sur les vingt années que couvre le film). Et elle n’a pas remis une fois le même costume.

Est-il important aussi de faire l’essayage pour les bijoux ?

Oui ! Nous l’avons fait pour tous les bijoux. Chaque collier, chaque bracelet, chaque bague, chaque boucle d’oreille, chaque broche, de chaque tenue ! Normalemen­t, je ne passe pas autant de temps sur les essayages. Nous le faisons le jour même du tournage avec l’ensemble qui a été décidé. Mais LG tenait à tout anticiper parce que le cinéma n’est pas son premier métier. Elle voulait tout savoir à l’avance pour se préparer le mieux possible. C’était beaucoup de travail, mais nous étions toujours en phase toutes les deux. Elle était très facile.

La joaillerie tient une place importante dans le film, et pour le personnage joué par Lady Gaga. Était-ce compliqué de faire venir des parures sur le tournage ?

En effet, il n’y a pas une seule scène où Lady Gaga alias Patrizia Reggiani ne porte pas de bijoux. Même, souvent, elle les accumule, enfilant trois ou quatre colliers, deux ou trois bracelets sur chaque bras, parfois même une grosse broche en plus. C’est une petite femme, mais la discrétion ne fait pas partie des contours de son rôle ! Les bijoux surlignent tellement son caractère. Nous avons fait énormément de recherches sur photos pour tous les personnage­s, de Maurizio Gucci à Paolo et Aldo. Pour Patrizia Reggiani, j’ai découvert qu’elle portait peu de Gucci à l’époque, plutôt du Yves Saint Laurent, Dior, Givenchy. Elle n’était pas si exubérante. Sauf dans ses bijoux. Et je peux vous dire qu’ils étaient tous vrais ! Sur le plateau, il y avait de véritables pièces de joaillerie prêtées par Boucheron et par Bulgari, mais aussi de la « costume jewelry » (des bijoux fantaisie). Ce n’est pas simple de faire venir de la haute joaillerie sur un tournage de cinéma. À chaque fois, il y a au moins quatre personnes, rien que pour les bijoux, pour leur maniement et leur sécurité. Mais Boucheron et Bulgari ont été hypercoopé­ratifs.

En ce moment, vous travaillez donc avec Ridley Scott sur le tournage de « Napoléon », qui était un grand amateur de joaillerie ?

Oui, j’ai rencontré les équipes de Chaumet – le joaillier officiel de Napoléon et Joséphine – qui ont été d’une patience et d’une aide précieuses pour nous montrer toutes les pièces originales, les dessins et les informatio­ns dont ils disposent sur ces deux personnage­s historique­s. Mais, en l’occurrence, c’était trop difficile de leur emprunter des pièces. Nous avons donc un bijoutier dans l’équipe qui fabrique toutes les pièces dont nous avons besoin, notamment les décoration­s militaires, des légions d’honneur aux étoiles, en passant par les médailles, le collier d’aigle, la couronne de lauriers de son couronneme­nt… Il s’appelle Lorenzo Mancianti, un Italien qui vit à Paris. Il est fantastiqu­e. J’ai travaillé avec lui pour la première fois sur Exodus en 2014. Il avait fait des bijoux égyptiens exquis. Il est devenu célèbre récemment car c’est lui qui conçoit les bijoux de la série Bridgerton ! Il n’est plus avec nous en ce moment d’ailleurs, car il tourne la saison 3.

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Lady Gaga alias Patrizia Reggiani.
Pour les besoins de « House of Gucci », Bulgari a prêté des parures de haute joaillerie portées par Lady Gaga alias Patrizia Reggiani.
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Lady Gaga, dans le film, croque aussi des diamants, et des saphirs, Boucheron.

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