Le Figaro Magazine

TESSON : LE NOIR LUI VA SI BIEN

Représente­r dans des dessins la mort sans être morbide : c’est ce que réussit l’écrivain dans son recueil « noir » mais pas sombre.

- CULTURELLE­MENT VÔTRE PAR JEAN-CHRISTOPHE BUISSON

Un homme pendu à un rayon de soleil ; un autre dont le corps se balance sans vie au-dessus d’une femme lisant une lettre d’adieu sur laquelle est écrit « mon amour, lorsque tu liras cette lettre, je ne serai pas loin » ; quatre autres corps éteints et étreints par des noeuds coulants qui descendent des branches d’un arbre sur lequel figure l’écriteau « complet » ; un quidam bien vivant qui achète une corde à une vendeuse lui demandant si « c’est pour offrir ? » Mais aussi un schizophrè­ne qui s’apprête à se tirer une balle dans la tête en s’exclamant « Je vais te tuer » et l’auteur du livre « Vive la vie ! » sur le point d’en faire autant en découvrant ses chiffres de vente. Il faut vraiment s’appeler Sylvain Tesson pour réussir, par de noirs dessins, à rendre un sujet macabre – la mort – aussi drôle qu’un sketch de Gaspard Proust ou une tirade de Pierre Desproges. L’écrivain-aventurier possède certes une légitimité incontesta­ble pour évoquer la camarde.

Il la fréquente de près depuis des décennies. Dans la vie et dans les livres. Au sommet des aiguilles des Alpes ou des flèches des églises, qu’il grimpe par tous les temps, et dans les poèmes de Villon et Baudelaire ; sur les façades de chalets de montagne et dans les romans des romantique­s du XIXe ; sur des motos roulant au bord de précipices ou sur des lacs supposés gelés, et dans les textes de Mishima et Drieu La Rochelle.

Cette relation pas si mauvaise à la mort l’a poussé depuis ses 20 ans à lui dire son fait. À la représente­r. Non pour la narguer ou la mépriser (il a d’ailleurs sûrement refusé d’entrer à l’Académie française pour éviter de la vexer en se prétendant immortel), mais pour la conjurer. Croquer la mort ? Après tout, certains en ont fait leur métier. Tesson s’exécute dans Noir (Albin Michel) avec une tendresse et une poésie qui prouvent son absence d’esprit suicidaire : on voit bien qu’il essaye naïvement de la séduire pour qu’elle l’épargne. Avec courtoisie et drôlerie, ce qui fait de lui un disciple de l’écrivain pour qui « l’humour est la politesse du désespoir » : Victor Hugo.

Qui dessinait lui-même à l’encre des pendus. La boucle de la corde est bouclée.

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