ÉRIC HOLDER, LE PLUS VIVANT DES MORTS
Le Dilettante publie les « anachroniques » d’Éric Holder : bijoux délicats, ciselés, éternels.
La mort d’éric Holder, le 22 janvier 2019, chez lui, à Queyrac, dans le Médoc, ne l’empêche pas de publier l’un des plus beaux livres de l’année 2022. Le dernier ouvrage des éditions Le Dilettante est l’oeuvre de l’auteur des Nouvelles du Nord, première publication de cette maison en 1984, ce qui prouve que l’on peut être dilettante sans être dispersé. La disparition physique n’empêche pas cet écrivain nonchalant de ressusciter au bon moment pour enrayer l’escalade de la violence entre les hommes. Les chroniques rassemblées dans L’Anachronique sont parues dans la revue Le Matricule des anges entre 1996 et 2012, parce qu’il tutoyait déjà, de son vivant, les créatures ailées. Portraits subjectifs, émotions fugaces, beuveries dans le tGV, beautés féminines, lectures inactuelles : Holder partage ses impressions avec finesse, sensibilité et douceur. On est heureux de pouvoir passer encore quelques instants en compagnie de « ce sifflotement allègre qui faufile son oeuvre » (comme l’écrit joliment son éditeur). Holder avait la grâce : c’est ainsi et c’est injuste ; on ne savait jamais comment il faisait pour que ses pages donnent toujours envie de fermer les yeux en souriant. écrire dans une revue littéraire permet de s’affranchir de l’actualité pour chercher une autre vérité, plus permanente, une nouvelle hiérarchie des priorités. C’est peut-être cela, la littérature : regarder ce qui se passe ailleurs que dans son téléphone ? Holder compare ses chroniques à des galets polis par le temps. elles restituent des rencontres et des lieux : une visite de la maison de Mallarmé, un souvenir de pensionnat, une conversation au bord d’une route de Camargue… comme des nouvelles de non-fiction, qui vieillissent tellement mieux que les articles de journaux. Holder avait un don pour regarder la vie avec chaleur. L’Anachronique est son meilleur livre. C’est du Vialatte calme, sans les pirouettes. Parfois il peut même piquer, comme lorsqu’il raconte sa fuite en train d’un salon du livre : « Les écrivains arrivaient sur le quai. Ils parlaient haut, ils avaient des valises coûteuses. »
Comment diable vous convaincre de l’urgence de lire ce merveilleux catalogue d’émotions inutiles d’un écrivain décédé ? eh bien utilisons le seul argument efficace, celui de la jeune fille à vélo aperçue en baie de somme à l’été 1995. Holder lui consacre une page. Certes, c’est décalé, vain, futile. Mais s’il vous plaît, réfléchissez un instant. Que reste-t-il désormais de l’été 1995, à part cette demoiselle de 16 ans lisant un livre de poche, sur la plage, pour toujours ?
L’Anachronique, d’Éric Holder, Le Dilettante, 288 p., 22 €.