Le temps de réfLexion Le danger erdogan
C’était le week-end dernier. Dans une de ces envolées de rhétorique guerrière dont il a l’habitude, Recep Tayyip Erdogan menaçait une nouvelle fois la Grèce de ses foudres vengeresses. Cette fois-ci en se référant à un des moments les plus tragiques du XXe siècle : l’expulsion des Grecs de Smyrne (devenue la turque Izmir), il y a cent ans, en 1922, plus de deux mille cinq cents ans après leur installation. La cité avait été brûlée presque entièrement, des milliers de ses concitoyens passés au fil de l’épée de l’islam turco-ottoman. « N’oublie pas Izmir ! » a donc lancé le satrape d’Ankara à l’attention d’une nation qui, appartient pourtant, comme la sienne, à la même alliance militaire : l’Otan. Ambiance… S’il y a bien quelqu’un que cette nouvelle provocation hellénophobe du président turc n’a pas surpris, c’est bien Franck Papazian. Dans un essai court et précis, enlevé et clair, lucide et salutaire *, ce petit-fils de rescapé du génocide arménien dresse un bilan de vingt ans de présence d’Erdogan à la tête de son pays : il est éloquent. Les droits de l’homme ? Il n’aura eu de cesse de les piétiner, menaçant ses opposants, emprisonnant les journalistes d’opposition (quand ils ne sont pas tués), pourchassant les intellectuels insoumis. L’islamisation de son pays, dont une grande partie de la jeunesse vit et rêve pourtant à l’occidentale ? Il l’a accélérée, encouragée, contrôlée, se servant de mercenaires djihadistes pour avancer ses pions en Libye, en Syrie ou en Artsakh/Haut-Karabakh (via son vassal azéri). Les Kurdes ? Après avoir promis de leur faire une place dans la société turque, il leur mène une lutte sans merci, bien décidé à leur réserver le même sort que celui que les Jeunes-Turcs génocidaires – qu’il ne cesse d’honorer – ont réservé aux Arméniens en 1915 : réduire leur identité au néant. En les chassant ou en les massacrant.
En campagne électorale dans la perspective de sa réélection en 2023, Erdogan sait que la crise financière et économique de son pays peut lui coûter la victoire. Raison pour laquelle il tente de redorer son blason diplomatique en jouant l’intermédiaire entre Russie et Ukraine – de la main droite, il signe des accords avec Poutine ; de la gauche, des contrats de vente de drones à Zelensky. Raison pour laquelle aussi il ne cesse de menacer Grecs et Arméniens, qui peuplaient jadis le territoire aujourd’hui turc : après vingt ans de pouvoir, il a suffisamment alimenté la haine contre ces peuples pour savoir combien ce discours-là paie. Sans qu’il ne lui ait coûté quoi que ce soit jusqu’à ce jour, remarque et regrette Papazian, qu’il faut lire et saluer.