Journal de bord du style nautique
Le charisme d’Éric Tabarly, l’élégance intemporelle du yachtman, la fascination pour le large… Autant de raisons pour que les citadins en mal de sensations fortes redécouvrent le ciré, le blazer et les chaussures bateau. Un vestiaire à rebours des tendanc
Comme disait Renaud, « C’est pas l’homme qui prend la mer / C’est la mer qui prend l’homme. » En revanche, c’est bien l’homme qui, en cette rentrée 2022, prend l’attirail du capitaine. Marinière, caban, ciré, chandail de marin, blazer de loup de mer et chaussures bateau n’ont jamais été aussi en vogue. Rien de nouveau sous les embruns. La panoplie du navigateur est un classique du dressing masculin. Un standard de l’élégance, un indémodable. « Comme le vestiaire militaire et le vêtement de travail, les habits nautiques – qui ont été conçus avant tout pour une fonction : naviguer – sont rassurants pour nos clients,
décrypte Gauthier Borsarello, le directeur artistique de Fursac, qui s’en est inspiré pour sa collection de l’été 2023. Mais contrairement à l’arsenal du soldat ou de l’ouvrier, il en émane une certaine poésie propre à l’univers de la Grande Bleue. »
En effet, derrière le manteau d’officier et la vareuse du matelot, la parka de quartier-maître et le pull du sous-marinier, difficile de ne pas voir l’explorateur des temps modernes, le héros des océans sans peur et sans reproche. « Les hommes sont souvent fascinés par ceux qui réalisent des choses qu’ils ne peuvent pas faire », reprend le Parisien qui avoue volontiers « rêvasser devant les bateaux au port » quand il est en vacances. « En ce sens, le monde nautique se rapproche du monde de la Formule 1, qui bénéficie d’un regain d’intérêt ces derniers temps. Il y a cette idée de repousser ses limites, de se frotter à la mort, de se confronter à ses peurs. L’histoire d’un Tabarly qui part tout seul et fracasse son mât au beau milieu de l’Atlantique, fait rêver ses congénères. »
Sur le tableau d’inspiration des créateurs, le navigateur français figure donc en bonne place. Les dandys du yachting également : Aristote Onassis, Gianni Agnelli, JFK et bien sûr le prince Charles. Si l’on doit à la France bon nombre d’habits du paquetage naval (la marinière, le pull à trois boutons, les deck shoes malgré leur nom, etc.), ce sont les Anglais qui ont inventé les règles, le décorum, comme sou
“Le yachting est Le moyen Le pLus cher, Le pLus Lent et Le pLus humide pour aLLer d’un point à un autre où L’on n’a rien à faire”
vent dans la mode masculine. Ainsi, Charles II d’Angleterre qui, exilé aux Pays-Bas espagnols au XVIIe siècle, se prit de passion pour la chasse au canard en bateau et inventa le yachting. Ce terme anglais dérivé de Jacht (signifiant « chasser » en néerlandais) désigne dès lors le navire de plaisance destiné à la pratique sportive et aux loisirs. « J’aime beaucoup la définition de Philippe d’Édimbourg : “Le yachting est le moyen le plus cher, le plus lent et le plus humide pour aller d’un point A à un autre où l’on n’a rien à faire” », plaisante Marc Berthier, éminent membre du Yacht Club de Monaco, du Yacht Club de France et du Royal Yacht Squadron, l’un des plus anciens (fondé en 1815) et des plus chics.
Tabarly eT son mailloT de la royale
Dans le sillage de Charles II, l’aristocratie britannique se pique de navigation et se regroupe en associations (très) privées dont chacune revendique un dress code spécifique. « Au Royal Yacht Squadron, par exemple, à chaque occasion, chaque moment de la journée, sa tenue, précise le régatier. Jusqu’à 7 heures du soir, vous pouvez être débraillé parce que vous naviguez – enfin dans une certaine mesure, jamais en tongs, toujours en chaussures de bateau. Mais à 19 h 01, si vous n’avez pas revêtu le pantalon réglementaire, un blazer et la cravate du club, on vous demandera si vous n’avez pas oublié quelque chose dans votre chambre ! En cela, nous ne faisons qu’imiter les Anglais. » De ce côté de la Manche, les conventions en la matière sont tout de même un peu moins strictes et reflètent l’élégance
nonchalante à la française. La plus ancienne de nos congrégations date de 1838 (la Société des régates du Havre). En 1867, Napoléon III officialise la pratique et fonde le Yacht Club de France avec, au fil des ans, parmi ses membres, Jules Verne, le Commandant Charcot et… Éric Tabarly. « Éric ne
s’habillait pas, rappelle Marc Berthier, qui l’a bien connu. Il portait son éternel blue-jean et son maillot rayé de la Royale (la Marine nationale, NDLR) ainsi que le pull-over de dotation de l’armée, avec les trois boutons sur le côté, que recevaient les soldats par deux durant leur service militaire. Mais quand il assistait à nos événements, il respectait toujours la règle. »
Pas sûr pour autant que « le Sphinx de Bénodet » aurait participé au concours d’élégance organisé sur le rocher de la principauté par le Yacht Club de Monaco à l’occasion de sa Classic Week. « La panoplie du plaisancier est
On recOnnaît Le parisien en gOguette à sOn pantaLOn de mateLOt Le gLazik
un déguisement comme un autre. On s’amuse à s’habiller comme des marins. Comme dit ma femme : “Ce ne sont jamais que des histoires de boy-scouts ! ” Et elle a parfaitement raison. » Le sémillant septuagénaire, qui a aussi ses habitudes sur la côte bretonne, a bien sûr remarqué le nouvel attrait des citadins pour ce style à nul autre pareil. « Quand le Parisien en goguette débarque en villégiature, il finit toujours par arborer un pantalon de matelot rouge griffé Le Glazik. Et se promène, même par beau temps, chaussé de bottes en caoutchouc. Ce qui nous fait bien rire ! »
une esthétique bCbG qui plaît
à toutes les Générations
Ainsi, les urbains en mal de sensations fortes et d’océans redécouvrent les produits griffés Le Glazik, donc, mais aussi Le Minor, Saint James, Sebago (les incontournables Docksides), ou encore Helly Hansen et ses parkas techniques. « L’engouement pour cette esthétique BCBG, voire rétro, vient précisément du fait qu’elle n’est pas à la mode, résume Basile Khadiry, fondateur de la boutique parisienne Beige Habilleur. Regardez le succès de la deck shoe, cette chaussure de pont en toile et semelle vulcanisée utilisée par la Navy américaine dans les années 1950. Nos clients apprécient sa forme simple et ultrapratique, son allure intemporelle, à rebours de la basket dernier cri. »