Georges de staal
Le Français au service (secret) de Staline
Dans son nouveau livre et en avant-première dans le « Fig Mag », l’historien du renseignement Rémi Kauffer révèle l’identité de l’homme qui permit l’exfiltration en URSS de deux taupes soviétiques – Burgess et Maclean – sur le point d’être arrêtés par le contre-espionnage britannique en 1951. Il s’agissait d’un communiste français…
Coeur battant de l’esta- blishment britannique, l’université de Cambridge, on le sait, servit de centre de recrutement par les services secrets de Staline au milieu des années 1930. Avec pour objectif – rempli par cinq d’entre eux – d’infiltrer après leurs études l’appareil d’État britannique. Premier des cinq à mettre le pied au sein du MI6, la DGSE anglaise, Guy Burgess parvient à y introduire son complice Kim Philby. Officier dès 1939 du MI5, l’équivalent de notre DGSI, Anthony Blunt deviendra après guerre… le conseiller de la reine Élisabeth II pour ses achats de tableaux ! En 1940, John Cairncross se voit, lui, promu secrétaire de Maurice Hankey, éminence grise de la communauté britannique du renseignement. En poste aux États-Unis dès 1944, Donald Maclean devient, de son côté, la star du Foreign Office.
Tant va quand même la cruche à l’eau. En février 1951, Philby, chargé des liaisons entre le MI6 et la CIA à Washington, apprend que les décryptages américains de messages radio soviétiques prouvent le rôle de Maclean au service secret de Staline. Le traître à la Grande-Bretagne travaille à cette époque au ministère des Affaires étrangères, à Londres. Qu’il file en URSS avant d’être arrêté, tranche Moscou. Mais Maclean, dont la femme attend un troisième enfant, hésite à franchir le pas de l’exil. Les deux « officiers traitants » soviétiques du réseau, Nikolaï Rodine et Youri Modine, reçoivent alors de leur hiérarchie l’ordre de le faire accompagner par Burgess, pourtant luimême à bout de nerfs. Les Russes ont en tête une filière d’exfiltration de la Grande-Bretagne passant par la
France : le bateau de croisière transmanche qui appareille de Southampton le vendredi soir, début du sacro-saint week-end anglais, avec possibilité de descente à terre à l’escale de Saint-Malo. Reste à dénicher l’homme sûr capable d’organiser le transfert clandestin des deux fuyards de France en Suisse, où ils prendront l’avion pour Prague.
agEnt dormant
Sept décennies d’enquêtes n’ont permis ni à la presse ni aux services secrets de Sa Très Gracieuse Majesté l’identification de ce mystérieux « contrôleur ». Jusqu’à aujourd’hui, où je peux révéler qu’il s’agissait d’un communiste français.
Né apatride à Moscou en 1900 d’un père révolutionnaire russe exilé en France six ans plus tard, il s’appelait Georges de Staal. Dans les années 1930, cet ingénieur de formation fut intégré dans une cellule dite « hors-cadre » d’adhérents occultes du PCF. En 1939, ce groupe passe sous le contrôle direct des Soviétiques. Après l’invasion de l’URSS, de Staal ourdit un plan d’empoisonnement des officiers allemands en région parisienne. Mais durant l’été 1942, son réseau tombe, l’agent échappant de peu à la rafle. Son « officier traitant » lui assigne alors cette nouvelle mission : infiltrer le service de renseignement des Mouvements unis de Résistance, les MUR, création récente de Jean Moulin. Une pénétration réussie qui propulse dès la Libération de Staal, alias « commandant Pagès », à la direction du 2e Bureau FFI.
Naturalisé français en 1945 au motif de son action au sein des MUR, l’agent double échappe aux radars de la toute neuve DST, ancêtre de la DGSI. Le 2e Bureau FFI dissous deux ans plus tard, il quitte le service actif des Soviétiques pour devenir leur « agent dormant ». Un maître en clandestinité « réveillé » dans les grandes occasions. Comme le transfert par la France de Burgess et Maclean, que de Staal orchestrera de main de maître tout en restant tapi dans l’ombre. Mais comme l’écrit Racine dans Britannicus :
« Il n’est point de secret que le temps ne révèle. »