Le Figaro Magazine

LA BELLE NON-VIE

Le premier roman de Nathan Devers est aussi la première grande satire du métavers.

- Le livre de frédéric beigbeder

Une grande tendance de cette rentrée est le retour de la science-fiction. Laurent Gaudé avec Chien 51 (actes sud), Mirwais ahmadzai avec Les Tout-puissants (séguier) et Nathan Devers avec Les Liens artificiel­s (albin Michel) tentent d’imaginer l’apocalypse qui nous guette. Ce n’est pas une coïncidenc­e. La science-fiction, nous vivons dedans. Le monde se détruit à toute vitesse comme dans les pires dystopies des années 1970. La différence avec les romans de Philip

K. Dick ou J. G. ballard est que les cataclysme­s se produisent en direct à la télévision. Pour son premier roman, le surdoué Nathan Devers (24 ans) réussit un coup de maître : l’unique livre non ennuyeux sur la réalité virtuelle. beaucoup se sont cassé les dents sur ce sujet compliqué. Comment intéresser le lecteur au cybermonde, aux jeux vidéo en 3D, aux cryptomonn­aies et à la non-vie digitale ? La plupart des romans sur ce sujet nous tombaient des mains à la page 15. Les Liens artificiel­s possède une grande force : sa simplicité. il démarre aujourd’hui, comme un roman naturalist­e, racontant la vie de Julien Libérat, un prof de piano fauché et largué par sa fiancée – « Michel Berger avec moins de cheveux » – qui habite un studio à rungis et joue du jazz au Piano Vache, le bar de la rue Laplace. en ancrant son roman dans une réalité très concrète, Devers accroche le lecteur, pour ne plus jamais le perdre. et pourtant, Julien bascule très vite dans la folie de l’antimonde, un nouveau système qui permet d’accéder à une vie parallèle (un genre de second Life, pour ceux qui s’en souviennen­t). La vie réelle de Julien est tellement déprimante qu’il est le client idéal pour cette arnaque merveilleu­se.

Le succès du métavers repose sur cette escroqueri­e : faire croire aux gens malheureux qu’ils cesseront de l’être quand ils seront des superavata­rs dans un décor dessiné par un ordinateur. Dans cet univers orwellien dont la devise est « On ne vit ensemble qu’en étant séparés », Julien devient une star contestata­ire sous le pseudonyme de Vangel, en écrivant des poèmes subversifs : « Nous ne sommes plus des hommes mais des nombrils hurleurs. » il n’y a qu’une erreur dans ce roman : j’y suis invité à « La Grande Librairie ». il y a longtemps que ce n’est plus le cas. Ce qui prouve que c’est de la science-fiction ! Le roman de Nathan Devers est captivant, terrifiant et burlesque. tout y est : notre stupidité, notre avidité, notre solitude, ces trois faiblesses sur lesquelles les Gafam appuient pour gonfler leurs comptes en banque bahamiens. Devers ne décrit pas notre futur mais notre haine de la vie. si les humains ne souhaitent plus vivre, ils risquent d’être exaucés plus vite qu’ils ne le pensent.

Les Liens artificiel­s, de Nathan Devers, Albin Michel, 328 p., 19,90 €.

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