THOMAS MANN LE MAGICIEN
I★★★ Le Magicien, de Colm Tóibín, Grasset, 608 p., 26 €. Traduit de l’anglais (Irlande) par Anna Gibson. l y a du reinhold Messner en Colm tóibín. tel l’italien vénéré comme un dieu de l’alpinisme après avoir gravi l’everest sans oxygène, l’irlandais carbure au monumental. rien d’étonnant donc qu’après s’être attaqué au géant de la littérature anglo-saxonne que fut Henry James, il renouvelle l’exploit avec un autre sommet, côté allemand cette fois, thomas Mann (1875-1955). Qu’on ne s’y méprenne pas, Le Magicien n’a rien d’une biographie classique ni même d’une biographie romancée, cache-misère des écrivaillons en panne sèche. Parlons plutôt de l’exploration savamment orchestrée des moments clés de la vie d’un écrivain adoré comme peu d’intellectuels le furent de leur vivant, et pourtant largement méconnu. Qui était l’auteur de La Mort à Venise ? Quels étaient les tourments de ce grand bourgeois de Lübeck destiné à devenir assureur ? Quelles pulsions interdites cacha-t-il dans ses romans ? Comment expliquer son attentisme politique dans une allemagne gangrenée par le nazisme, puis son exil définitif aux états-unis, lui l’européen, l’humaniste ? tóibín multiplie les fréquences de sa table d’écoute, branchée tantôt sur erika et Klaus, enfants terribles et géniaux, tantôt sur Katia, épouse et guide, tantôt sur la constellation des fréquentations nécessaires, d’alma Mahler à Franklin roosevelt. saisi par ses égarements et ses failles, Mann le nobélisé en devient intensément humain et proche. Proche, oui, comme on peut l’être d’un ami. C’est tout l’exploit d’un livre ouvert par curiosité et refermé dans l’admiration.