Le Figaro Magazine

beaucouP de bruit Pour rien

- Paulin Césari

Benjamin Millepied est un chorégraph­e dans le vent. Dans le vent de l’Histoire, s’entend. Son interpréta­tion du Roméo et Juliette de Shakespear­e se veut une « relecture » de l’oeuvre. Il veut dire par là que les lectures antérieure­s auraient des limites que le chorégraph­e compte dépasser. Il s’en explique avec une candeur touchante et une syntaxe approximat­ive : « C’est trop petit comme vision d’avoir juste un homme et une femme. » Benjamin Millepied aurait donc pris la mesure de l’amour hétérosexu­el. Il en aurait exploré les abîmes. Épuisé le concept. Exhibé les limites. Fait le tour de la question. Bref, il aurait réussi là où l’Ecclésiast­e, Dante et Shakespear­e réunis auraient échoué. Il voit donc plus grand et propose au spectateur trois versions de l’oeuvre : une, hétéronorm­ée (Roméo et Juliette) et deux, homonormée­s (Roméo et Roméo, Juliette et Juliette). Quelle audace ! Mais, pourquoi limiter la déclinaiso­n du concept ? Quid d’un Roméo de 50 ans et d’une Juliette de 12 ? D’un Roméo et d’une Juliette « trans » ? D’un Roméo zoophile ? D’une Juliette dendrophil­e ? En se bornant à trois versions, le chorégraph­e ne reproduit-il pas ce qu’il prétend dépasser : une limite ? Donc un conformism­e d’autant plus ennuyeux qu’il se prétend transgress­if ? S’il est bon de relire Shakespear­e, il est encore meilleur de l’avoir lu. Car, ou bien la vision shakespear­ienne de l’amour est universell­e, donc commune à tous les genres et tous les sexes, et dès lors Roméo et Juliette suffisent. Ou bien elle ne l’est pas, et en ce cas, s’y référer pour traiter d’autres visions de l’amour est une absurdité.

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