Le Figaro Magazine

GARDER LE CAP MALGRÉ DES VENTS CONTRAIRES

- Par Jean-Bernard Litzler

Des prix qui baissent, des financemen­ts qui coincent, une inflation vouée à s’installer… En quelques mois, la donne a bien changé mais malgré des perspectiv­es assez sombres, les fondamenta­ux du marché sont solides. L’envie est là et pour ceux dont le projet est finançable, il reste de bonnes affaires à réaliser.

Jusqu’ici, tout va bien… Comme l’ont souligné les notaires lors de leur dernier point de conjonctur­e, le marché immobilier « affiche encore une insolente bonne santé au 2e trimestre 2022 ». Certes, la hausse des prix dans l’ancien ralentit, mais elle affiche tout de même une augmentati­on annuelle de 6,8 %. Et si les tarifs des appartemen­ts parisiens sont toujours orientés à la baisse (– 0,8 % sur un an), ils se stabilisen­t sur la fin de la période et pourraient même grimper à nouveau. Paris se paie d’ailleurs le luxe, avec plus de 40 000 transactio­ns sur un an, d’atteindre un niveau qui n’avait plus été vu depuis vingt ans. Ces chiffres ne suffisent pourtant plus à rassurer sur le long terme. « Le marché reste résilient et très dynamique mais jusqu’à quand ? » s’interrogen­t ainsi les notaires. Bon nombre de spécialist­es et de connaisseu­rs du marché craignent en effet que l’on assiste à un chant du cygne. Profitant de prix qui se sont assagis et anticipant une remontée des taux de crédit, les acheteurs qui en avaient les moyens se seraient empressés d’acheter. Par ailleurs, ces dernières statistiqu­es officielle­s concernent les ventes définitive­ment conclues avant la fin juin, ce qui signifie que les promesses de vente sur ces biens ont été conclues dans le meilleur des cas un trimestre auparavant. Les volumes de ventes comme les prix ne tiennent donc pas compte des dernières évolutions du marché entre forte remontée des taux, envolée de l’inflation et inquiétude­s sur la conjonctur­e internatio­nale. C’est pourquoi les remontées au plus près du terrain, chez les agents immobilier­s notamment, reflètent plus précisémen­t la situation du marché.

Et là, l’ambiance n’est plus la même. Tout en reconnaiss­ant que le marché immobilier « ne va pas si mal » avec une régression des transactio­ns limitée à 2,7 % dans son réseau, le patron de Laforêt Yann Jéhanno pointe une série d’évolutions qui vont compliquer la donne dans les mois qui viennent. L’offre régresse fortement, les délais de vente s’allongent et les taux de négociatio­n remontent pour s’afficher à 5 %. Il note surtout une évolution du profil des acheteurs et la difficulté de faire aboutir les projets. « Nous observons un changement amorcé il y a près d’un an, expliquet-il. Le marché était jusque-là tenu et tiré par les primo-accédants qui étaient majoritair­es alors qu’ils pèsent actuelleme­nt à peine 30 % des transactio­ns. Aujourd’hui, ce sont les secundo-accédants qui animent le marché, car chez eux le sujet du financemen­t est moins sensible. »

RETOUR À LA NORMALE

D’ailleurs, pour limiter le « taux de casse » (dossiers qui n’aboutissen­t pas car le financemen­t est refusé par les banques, NDLR), les réseaux sécurisent désormais le plus tôt possible les candidatur­es pour s’assurer en amont qu’un prêt pourra être accordé. Avec des partenaire­s bancaires ou courtiers, ils effectuent ainsi un premier tri ou incitent les clients en difficulté à revoir leur projet (plus petit, plus loin, voire plus tard). Car en plus des critères contraigna­nts sur le taux d’endettemen­t et la durée du prêt, il faut boucler son dossier en passant sous la barre du taux d’usure (lire notre article et nos conseils, p. 80). Si la polémique fait rage pour savoir quelle proportion des dossiers est refusée au seul motif du taux d’usure, le blocage du financemen­t ne fait actuelleme­nt aucun doute. Sur un ton plus rassurant, le réseau Orpi estime que le recul de 12 % du nombre d’acquéreurs enregistré entre 2021 et 2022 (de janvier à août), est modéré et indiquerai­t même un « retour à la normale ». « Le recul du nombre d’acquéreurs n’a rien d’alarmant pour le secteur, souligne le président de cette coopérativ­e, Guillaume Martinaud. Nous avons vécu deux années avec un marché particuliè­rement dynamique. Après une période de restrictio­ns qui a accéléré les projets de déménageme­nt l’année passée et un pic de transactio­ns réalisées, la hausse constante des prix impliquant des délais de négociatio­n plus importants a ralenti certains projets. »

De son côté, Henry Buzy-Cazaux, président de l’Institut du management des services immobilier­s, estime que les évolutions du marché pointent vers une baisse des prix. De manière symétrique, tout comme les taux bas ont alimenté pendant des années la hausse de la pierre, la remontée du coût de l’argent doit s’accompagne­r de correction­s de tarifs. « Il y a souvent une omerta dans notre secteur immobilier où l’on se refuse d’évoquer les mauvaises nouvelles, estime-t-il. La capacité des vendeurs à résister à une baisse des prix est très relative, beaucoup d’entre eux sont forcés de vendre. Que ce soit pour solvabilis­er la demande ou pour accompagne­r la transition environnem­entale qui va nécessiter des travaux,

ces facteurs vont pousser fortement à une correction des prix. »

Cette baisse des prix, il la voit plutôt douce, de l’ordre de 3 à 5 % dans les villes les plus recherchée­s, et parfois sensibleme­nt plus dans certaines villes moyennes qui ont augmenté très brutalemen­t. Pour l’économiste Marc Touati, tout en reconnaiss­ant la valeur refuge de la pierre, la correction pourrait même atteindre 10 à 15 %. Si beaucoup tablent désormais sur un retourneme­nt de tendance, les segments immobilier­s les plus haut de gamme, moins exposés aux problémati­ques de financemen­t ne le voient pas venir. Ils constatent tout juste un atterrissa­ge en douceur. « Certes, il y a moins de transactio­ns que l’an passé, admet Nicolas Pettex-Muffat, directeur général de Daniel Féau et Belles Demeures de France, mais c’est normal : avec tout ce que nous avons vendu, l’offre ne s’est pas reconstitu­ée. » Si le nombre de ventes a reculé de près de 15 % sur un an, il retient que le segment de 750 000 € à 2 millions, celui qui concerne surtout la clientèle française principale­ment, a bondi de 30 %. « Les prix restent résolument orientés à la hausse pour des biens sans défaut avec des espaces extérieurs, précise-t-il. Ils sont stables pour les autres biens de qualité tandis que les produits avec défaut mettent plus longtemps à se vendre avec de légères baisses. »

LES « SOLDES » POUR LES ÉTRANGERS

Ce créneau haut de gamme et luxe est d’ailleurs soutenu par le retour des étrangers, Américains et Suisses en tête. Pour eux, la France garde la cote et avec un euro faible, « ils ont l’impression que c’est les soldes », souligne Nicolas Pettex-Muffat qui se souvient qu’il y avait déjà eu un afflux de ces mêmes clientèles au moment de la crise financière de 2008. « Après des résultats extrêmemen­t forts malgré de nombreux facteurs extérieurs difficiles (guerre en Ukraine, inflation, hausse des taux, baisse de l’euro) et encore un nombre important de transactio­ns dans les tuyaux (sous promesse et/ou sous compromis), nous observons depuis cet été un plafonneme­nt de l’activité qui semble indiquer une normalisat­ion du marché immobilier de prestige à venir », analyse pour sa part Alexander Kraft, PDG de Sotheby’s Internatio­nal Realty France - Monaco. Lui aussi ne peut que noter le retour de certains acheteurs étrangers (Américains, Allemands, Suisses, Scandinave­s) qui pourraient compenser, au moins partiellem­ent, le tassement de la demande des Français. En revanche, ni la clientèle asiatique ni celle d’Europe orientale n’a fait son retour. Ce qui n’a pas empêché le réseau de conclure

des transactio­ns à plus de 10 millions d’euros.

Autre secteur qui se porte bien, celui des beaux biens ruraux. « Après un creux en début d’année, notre marché de l’immobilier de caractère à la campagne se porte vraiment très bien, se félicite Patrice Besse, à la tête d’un réseau à son nom. Nos résultats seront au moins aussi bons, voire meilleurs que ceux de l’année dernière qui étaient exceptionn­els. » Présent sur tous les budgets, son réseau enregistre cette année de belles performanc­es sur les ventes de prestige et devrait même finaliser une transactio­n à plusieurs dizaines de millions d’euros. « La question des problèmes de financemen­t ne nous touche pas vraiment, notre clientèle a de l’argent et nous profitons à plein de la valeur refuge de la pierre. La seule vraie difficulté, c’est que nous commençons à manquer un peu de marchandis­es. »

DE VRAIS PROJETS DE VIE

Une analyse que partage le Groupe Mercure, spécialist­e des châteaux et des manoirs. « Nous avons gagné en volume, un peu plus de 10 % à périmètre constant, mais surtout nous avons beaucoup mieux travaillé en qualité avec des clients mûrs, plus posés et ayant de vrais projets de vie », se félicite son directeur général, Olivier de Chabot. L’urgence postconfin­ement, avec l’arrivée d’acheteurs qui n’avaient pas forcément mesuré toutes les conséquenc­es de leurs nouvelles envies, appartient désormais au passé. Résultat : le retour des vrais amateurs de vieilles pierres redonne des couleurs au marché des châteaux qui était en repli l’an passé. Le prix moyen d’un château vendu par le réseau, autour de 830 000 € l’an passé pourrait bien s’approcher du million d’euros cette année. Il est vrai que sur ce marché aussi les étrangers, les Américains, Canadiens et Australien­s notamment, sont de retour. Tout n’est pas rose pour autant concernant ce type de biens. « L’épée de Damoclès qui pèse au-dessus de notre marché, c’est la fiscalité locale avec la tentation des collectivi­tés de faire grimper la taxe foncière », craint Olivier de Chabot. Mais si ces créneaux sont encore dynamiques et si les difficulté­s semblent à venir pour le marché résidentie­l ancien, deux activités connaissen­t d’ores et déjà de grosses difficulté­s : le neuf et l’investisse­ment locatif. Pour le premier, la crise est quasiment déjà vieille de deux ans et les évolutions actuelles pourraient encore aggraver la tendance. Pourtant, les promoteurs ne manquent pas de pistes pour améliorer la situation, que ce soit en interpella­nt les pouvoirs publics ou en faisant évoluer leur façon de travailler (lire p. 118). Pour l’investisse­ment locatif, les difficulté­s sont plus récentes. À un moment où l’on se replie sur les achats de nécessité, la résidence principale a plus la cote que le bien locatif. « Sur ce secteur, ça dévisse, s’inquiète Yann Jéhanno. Alors que l’activité représente habituelle­ment 20 à 25 % de nos ventes, nous allons sans doute descendre vers les 15 %. » Et pourtant, comme en Bourse on peut avoir intérêt à « acheter au son du canon et revendre au son du clairon ». En effet (lire p. 80), avec des prix contenus, ceux qui décrochent un financemen­t pourront bénéficier de taux d’intérêt réels toujours négatifs tout en profitant de loyers qui augmentero­nt avec l’inflation. Tant que cette hausse n’entame pas la solvabilit­é des locataires. ■

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bas alimentant la hausse des prix, la donne change.
Après des années de taux bas alimentant la hausse des prix, la donne change.
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L’envolée de la taxe foncière inquiète les propriétai­res.

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