GARDER LE CAP MALGRÉ DES VENTS CONTRAIRES
Des prix qui baissent, des financements qui coincent, une inflation vouée à s’installer… En quelques mois, la donne a bien changé mais malgré des perspectives assez sombres, les fondamentaux du marché sont solides. L’envie est là et pour ceux dont le projet est finançable, il reste de bonnes affaires à réaliser.
Jusqu’ici, tout va bien… Comme l’ont souligné les notaires lors de leur dernier point de conjoncture, le marché immobilier « affiche encore une insolente bonne santé au 2e trimestre 2022 ». Certes, la hausse des prix dans l’ancien ralentit, mais elle affiche tout de même une augmentation annuelle de 6,8 %. Et si les tarifs des appartements parisiens sont toujours orientés à la baisse (– 0,8 % sur un an), ils se stabilisent sur la fin de la période et pourraient même grimper à nouveau. Paris se paie d’ailleurs le luxe, avec plus de 40 000 transactions sur un an, d’atteindre un niveau qui n’avait plus été vu depuis vingt ans. Ces chiffres ne suffisent pourtant plus à rassurer sur le long terme. « Le marché reste résilient et très dynamique mais jusqu’à quand ? » s’interrogent ainsi les notaires. Bon nombre de spécialistes et de connaisseurs du marché craignent en effet que l’on assiste à un chant du cygne. Profitant de prix qui se sont assagis et anticipant une remontée des taux de crédit, les acheteurs qui en avaient les moyens se seraient empressés d’acheter. Par ailleurs, ces dernières statistiques officielles concernent les ventes définitivement conclues avant la fin juin, ce qui signifie que les promesses de vente sur ces biens ont été conclues dans le meilleur des cas un trimestre auparavant. Les volumes de ventes comme les prix ne tiennent donc pas compte des dernières évolutions du marché entre forte remontée des taux, envolée de l’inflation et inquiétudes sur la conjoncture internationale. C’est pourquoi les remontées au plus près du terrain, chez les agents immobiliers notamment, reflètent plus précisément la situation du marché.
Et là, l’ambiance n’est plus la même. Tout en reconnaissant que le marché immobilier « ne va pas si mal » avec une régression des transactions limitée à 2,7 % dans son réseau, le patron de Laforêt Yann Jéhanno pointe une série d’évolutions qui vont compliquer la donne dans les mois qui viennent. L’offre régresse fortement, les délais de vente s’allongent et les taux de négociation remontent pour s’afficher à 5 %. Il note surtout une évolution du profil des acheteurs et la difficulté de faire aboutir les projets. « Nous observons un changement amorcé il y a près d’un an, expliquet-il. Le marché était jusque-là tenu et tiré par les primo-accédants qui étaient majoritaires alors qu’ils pèsent actuellement à peine 30 % des transactions. Aujourd’hui, ce sont les secundo-accédants qui animent le marché, car chez eux le sujet du financement est moins sensible. »
RETOUR À LA NORMALE
D’ailleurs, pour limiter le « taux de casse » (dossiers qui n’aboutissent pas car le financement est refusé par les banques, NDLR), les réseaux sécurisent désormais le plus tôt possible les candidatures pour s’assurer en amont qu’un prêt pourra être accordé. Avec des partenaires bancaires ou courtiers, ils effectuent ainsi un premier tri ou incitent les clients en difficulté à revoir leur projet (plus petit, plus loin, voire plus tard). Car en plus des critères contraignants sur le taux d’endettement et la durée du prêt, il faut boucler son dossier en passant sous la barre du taux d’usure (lire notre article et nos conseils, p. 80). Si la polémique fait rage pour savoir quelle proportion des dossiers est refusée au seul motif du taux d’usure, le blocage du financement ne fait actuellement aucun doute. Sur un ton plus rassurant, le réseau Orpi estime que le recul de 12 % du nombre d’acquéreurs enregistré entre 2021 et 2022 (de janvier à août), est modéré et indiquerait même un « retour à la normale ». « Le recul du nombre d’acquéreurs n’a rien d’alarmant pour le secteur, souligne le président de cette coopérative, Guillaume Martinaud. Nous avons vécu deux années avec un marché particulièrement dynamique. Après une période de restrictions qui a accéléré les projets de déménagement l’année passée et un pic de transactions réalisées, la hausse constante des prix impliquant des délais de négociation plus importants a ralenti certains projets. »
De son côté, Henry Buzy-Cazaux, président de l’Institut du management des services immobiliers, estime que les évolutions du marché pointent vers une baisse des prix. De manière symétrique, tout comme les taux bas ont alimenté pendant des années la hausse de la pierre, la remontée du coût de l’argent doit s’accompagner de corrections de tarifs. « Il y a souvent une omerta dans notre secteur immobilier où l’on se refuse d’évoquer les mauvaises nouvelles, estime-t-il. La capacité des vendeurs à résister à une baisse des prix est très relative, beaucoup d’entre eux sont forcés de vendre. Que ce soit pour solvabiliser la demande ou pour accompagner la transition environnementale qui va nécessiter des travaux,
ces facteurs vont pousser fortement à une correction des prix. »
Cette baisse des prix, il la voit plutôt douce, de l’ordre de 3 à 5 % dans les villes les plus recherchées, et parfois sensiblement plus dans certaines villes moyennes qui ont augmenté très brutalement. Pour l’économiste Marc Touati, tout en reconnaissant la valeur refuge de la pierre, la correction pourrait même atteindre 10 à 15 %. Si beaucoup tablent désormais sur un retournement de tendance, les segments immobiliers les plus haut de gamme, moins exposés aux problématiques de financement ne le voient pas venir. Ils constatent tout juste un atterrissage en douceur. « Certes, il y a moins de transactions que l’an passé, admet Nicolas Pettex-Muffat, directeur général de Daniel Féau et Belles Demeures de France, mais c’est normal : avec tout ce que nous avons vendu, l’offre ne s’est pas reconstituée. » Si le nombre de ventes a reculé de près de 15 % sur un an, il retient que le segment de 750 000 € à 2 millions, celui qui concerne surtout la clientèle française principalement, a bondi de 30 %. « Les prix restent résolument orientés à la hausse pour des biens sans défaut avec des espaces extérieurs, précise-t-il. Ils sont stables pour les autres biens de qualité tandis que les produits avec défaut mettent plus longtemps à se vendre avec de légères baisses. »
LES « SOLDES » POUR LES ÉTRANGERS
Ce créneau haut de gamme et luxe est d’ailleurs soutenu par le retour des étrangers, Américains et Suisses en tête. Pour eux, la France garde la cote et avec un euro faible, « ils ont l’impression que c’est les soldes », souligne Nicolas Pettex-Muffat qui se souvient qu’il y avait déjà eu un afflux de ces mêmes clientèles au moment de la crise financière de 2008. « Après des résultats extrêmement forts malgré de nombreux facteurs extérieurs difficiles (guerre en Ukraine, inflation, hausse des taux, baisse de l’euro) et encore un nombre important de transactions dans les tuyaux (sous promesse et/ou sous compromis), nous observons depuis cet été un plafonnement de l’activité qui semble indiquer une normalisation du marché immobilier de prestige à venir », analyse pour sa part Alexander Kraft, PDG de Sotheby’s International Realty France - Monaco. Lui aussi ne peut que noter le retour de certains acheteurs étrangers (Américains, Allemands, Suisses, Scandinaves) qui pourraient compenser, au moins partiellement, le tassement de la demande des Français. En revanche, ni la clientèle asiatique ni celle d’Europe orientale n’a fait son retour. Ce qui n’a pas empêché le réseau de conclure
des transactions à plus de 10 millions d’euros.
Autre secteur qui se porte bien, celui des beaux biens ruraux. « Après un creux en début d’année, notre marché de l’immobilier de caractère à la campagne se porte vraiment très bien, se félicite Patrice Besse, à la tête d’un réseau à son nom. Nos résultats seront au moins aussi bons, voire meilleurs que ceux de l’année dernière qui étaient exceptionnels. » Présent sur tous les budgets, son réseau enregistre cette année de belles performances sur les ventes de prestige et devrait même finaliser une transaction à plusieurs dizaines de millions d’euros. « La question des problèmes de financement ne nous touche pas vraiment, notre clientèle a de l’argent et nous profitons à plein de la valeur refuge de la pierre. La seule vraie difficulté, c’est que nous commençons à manquer un peu de marchandises. »
DE VRAIS PROJETS DE VIE
Une analyse que partage le Groupe Mercure, spécialiste des châteaux et des manoirs. « Nous avons gagné en volume, un peu plus de 10 % à périmètre constant, mais surtout nous avons beaucoup mieux travaillé en qualité avec des clients mûrs, plus posés et ayant de vrais projets de vie », se félicite son directeur général, Olivier de Chabot. L’urgence postconfinement, avec l’arrivée d’acheteurs qui n’avaient pas forcément mesuré toutes les conséquences de leurs nouvelles envies, appartient désormais au passé. Résultat : le retour des vrais amateurs de vieilles pierres redonne des couleurs au marché des châteaux qui était en repli l’an passé. Le prix moyen d’un château vendu par le réseau, autour de 830 000 € l’an passé pourrait bien s’approcher du million d’euros cette année. Il est vrai que sur ce marché aussi les étrangers, les Américains, Canadiens et Australiens notamment, sont de retour. Tout n’est pas rose pour autant concernant ce type de biens. « L’épée de Damoclès qui pèse au-dessus de notre marché, c’est la fiscalité locale avec la tentation des collectivités de faire grimper la taxe foncière », craint Olivier de Chabot. Mais si ces créneaux sont encore dynamiques et si les difficultés semblent à venir pour le marché résidentiel ancien, deux activités connaissent d’ores et déjà de grosses difficultés : le neuf et l’investissement locatif. Pour le premier, la crise est quasiment déjà vieille de deux ans et les évolutions actuelles pourraient encore aggraver la tendance. Pourtant, les promoteurs ne manquent pas de pistes pour améliorer la situation, que ce soit en interpellant les pouvoirs publics ou en faisant évoluer leur façon de travailler (lire p. 118). Pour l’investissement locatif, les difficultés sont plus récentes. À un moment où l’on se replie sur les achats de nécessité, la résidence principale a plus la cote que le bien locatif. « Sur ce secteur, ça dévisse, s’inquiète Yann Jéhanno. Alors que l’activité représente habituellement 20 à 25 % de nos ventes, nous allons sans doute descendre vers les 15 %. » Et pourtant, comme en Bourse on peut avoir intérêt à « acheter au son du canon et revendre au son du clairon ». En effet (lire p. 80), avec des prix contenus, ceux qui décrochent un financement pourront bénéficier de taux d’intérêt réels toujours négatifs tout en profitant de loyers qui augmenteront avec l’inflation. Tant que cette hausse n’entame pas la solvabilité des locataires. ■