Le Figaro Magazine

FRANZEN : LA CORVÉE DE L’AUTOMNE

Se promener avec le nouveau roman de Jonathan Franzen musclera fortement votre avant-bras.

- LE LIVRE DE FRÉDÉRIC BEIGBEDER

Jonathan Franzen est le roger Martin du Gard américain. ses thibault se nomment les Hildebrand­t. avec son sixième roman, Crossroads, il parvient à rééditer son célèbre succès d’il y a vingt ans : écrire une saga familiale, cette fois située dans les années 1970. Corriger Les Correction­s, c’est accomplir un exploit presque aussi fort que L’Arroseur arrosé des frères Lumière. russ Hildebrand­t, un pasteur du temple, est attiré par une jolie veuve de sa paroisse. sa femme Marion est lassée de lui aussi. ils ont quatre enfants à problèmes. L’action se déroule sur une seule journée, comme Ulysse, et s’avère aussi difficile à lire que du Joyce, en moins inventif. L’intrigue, d’une banalité courageuse, est narrée avec une pompe surprenant­e, s’agissant d’une famille de protestant­s intègres. Franzen explique chaque pensée, dissèque toutes les émotions de ses personnage­s, jusqu’à rendre sa lecture irrespirab­le.

Notre conseil : achetez Crossroads sans plus tarder. il sort aujourd’hui 23 septembre en France. Les gros romans de Franzen vous posent en société. Déjà, avec Freedom (2011) et Purity (2016), romans salués par la critique dont personne n’a jamais achevé la lecture, Franzen avait fourni de parfaits accessoire­s de mode. Mais désormais que nous vivons dans l’ère d’instagram, le selfie automnal s’impose avec Crossroads, négligemme­nt abandonné sur le siège avant de votre tesla, à la place du mort. Vous afficherez ainsi votre goût pour les romans longs et pompeux. Vous aurez l’air de quelqu’un qui a du temps libre et le consacre à une activité culturelle exigeante. Vous passerez pour intello auprès de vos followers, bien plus qu’avec une photo de Fitzgerald ou Hemingway, les maîtres de l’ellipse. Dites que vous dévorez Crossroads : vous pourrez tenir six mois sur ce mensonge. Les gens qui n’ont pas le temps de lire seront laminés par la culpabilit­é et l’admiration. se balader au coin de la rue avec Crossroads musclera vos biceps – le roman pèse physiqueme­nt un kilo mais stylistiqu­ement bien davantage. attention : pensez à changer de main, sous peine de scoliose. Pour les lectrices, choisissez un sac à main solide, par exemple un birkin Hermès en cuir d’alligator. emportez le livre avec vous si vous êtes invité à un dîner chez des amis en disant que vous « ne pouvez pas vous séparer du dernier Franzen ». Oubliez ensuite le livre sur leur table basse et surtout ne le réclamez jamais. il paraît que Crossroads est le début d’une trilogie. Vous aurez besoin de reprendre des forces, pour ne pas lire la suite dans quelques années.

Crossroads, de Jonathan Franzen, Éditions de l’Olivier, 704 p., 26 €. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Olivier Deparis.

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