ALEXIS JENNI Voyage au bout de la vie
L’écrivain, lauréat du prix Goncourt 2011, a eu une « révélation » à propos du débat sur la fin de vie. Il partage ses craintes sur une éventuelle légalisation de l’euthanasie.
On se souvient de lui, retournant à sa salle de classe de SVT au lendemain de l’obtention du prix Goncourt. Le temps a passé depuis 2011, Alexis Jenni a désormais presque 60 ans et 23 livres publiés depuis sa consécration littéraire. Il dit vouloir ralentir son rythme, écrire sans se presser : « J’ai décidé de me calmer un peu, souffle-t-il. J’ai davantage le sentiment de ma fragilité qu’avant. » Le débat sur la fin de vie qui vient de s’ouvrir en France en vue d’une éventuelle légalisation de l’euthanasie ne le concernait pas : ayant perdu ses parents « dans leur sommeil », lui-même vaillant père de trois garçons, il s’en était désintéressé. Jusqu’à un soir du mois d’octobre dernier où, assistant à une conférence sur les sujets éthiques à Bordeaux, il a vécu une sorte de « révélation ». « J’avais une vision simple. Je me disais “s’il n’y a plus d’espoir dans notre vie, alors on peut dire’au revoir’”, confesse-t-il d’un ton pragmatique. Mais en écoutant les témoignages de médecins, j’ai compris combien le sujet était complexe. D’abord, dans un moment où le personnel soignant manque dans les hôpitaux, il n’est pas certain que les équipes médicales aient vraiment le temps de s’asseoir avec les patients pour les aider à poser un choix réfléchi sur les conditions de leur mort. Par ailleurs, les personnes dont l’état est diminué, qui souffrent, sont-elles aptes à décider pour elles-mêmes ? Enfin, je m’inquiète et même je crains la pression exercée sur chacun du fait du manque de lits, poursuit-il. Rien ne nous évitera de considérer qu’un mort libère un lit d’hôpital et que, dans une logique gestionnaire, il est souhaitable de ne pas s’attarder. La question principale est donc, selon moi : qui décidera vraiment de mettre un terme à cette vie-là ? »
Ébahi par ce qu’il avait entendu ce soir-là, et prenant conscience de ce sujet « qui n’a pas de véritable fond », Alexis Jenni s’est rendu ensuite dans un centre de soins palliatifs à Bordeaux. « Dans les couloirs, j’ai croisé des gens aux traits creusés, aux yeux brillants, qui allaient mourir dans les quinze jours, raconte-t-il. C’était étrange. J’ai été impressionné par la façon très humaine, à l’écoute, avec laquelle le personnel les accompagnait. Ce qui se vit dans les services de soins palliatifs où chacun discute, prend son temps et accompagne l’autre, est essentiel. C’est de la pure humanité. » Il y a, de la part d’un romancier passionné par la violence et la guerre – et donc par la mort –, comme un parti pris de calme dans cette analyse.
MOURIR DE TOUTE URGENCE
La loi Claeys-Leonetti, en vigueur depuis 2016, qui autorise dans certains cas le recours à une sédation profonde, est considérée tantôt comme insuffisante tantôt comme parfaitement équilibrée. D’aucuns croiraient-ils qu’en légiférant une nouvelle fois, on abolirait la mort elle-même ? Que faire de la culpabilité de ceux qui préféreront mourir à leur rythme, avec lenteur ? Comment demander à un médecin, qui doit tout faire pour guérir, de donner la mort par le même geste ? « Si une loi légalisait le suicide assisté, alors on introduirait un nouveau type d’interaction entre les êtres. Dans une relation interpersonnelle, il n’est jamais envisagé d’être celui qui va donner la mort. Ça n’existe pas », insiste Alexis Jenni. La convention citoyenne, qui entame sa cinquième session et débattra jusqu’en mars notamment « des formes extrêmes de souffrance psychique », de « l’économie de la fin de vie » et d’autres sujets éthiques, est comme télescopée par la mission parlementaire mise en place à l’Assemblée nationale, que chapeautent des députés militants qui veulent obtenir une loi « de l’ultime liberté » avant la fin de l’année. L’urgence, toujours.