LES LEÇONS DE TRENTE ANS DE RÉFORMES
Il y a les réformes purement et simplement abandonnées, celles qui sont passées malgré les grèves et les blocages, les réformes a minima, les ambitieuses, les plus ou moins justes… Retour sur les raisons des succès et des échecs de l’interminable chantier
En 1991, michel rocard lançait une bombe dans le débat public sous la forme d’un livre blanc sur l’avenir des retraites. Premier ministre, il l’avait commandé par souci pédagogique, pour que chacun mesurât bien l’ampleur de la tâche. Le résultat fut à la hauteur de ses pires prédictions : les experts qu’il avait dépêchés au chevet du régime de répartition affirmèrent que si la durée de travail nécessaire pour toucher une retraite à taux plein ne passait pas de 150 à 168 trimestres, le niveau des pensions s’effondrerait.
Pour compliquer encore l’équation, la retraite à 60 ans, instaurée en 1982, restait le fleuron social du premier septennat de françois mitterrand. C’est alors que rocard lança sa fameuse prophétie – « Il y a de quoi faire tomber cinq ou six gouvernements » – et décida que le sien ne serait pas le premier mort au champ d’honneur. après tout, pour parer à l’urgence, il venait de créer la CsG (contribution sociale généralisée) !
En rasE campagnE
françois mitterrand fit savoir haut et fort combien le manque de courage de son premier ministre l’affligeait et se dit in petto qu’il était effectivement urgent d’attendre. après la déroute socialiste aux législatives de 1993, édouard Balladur trouva donc le dossier de la réforme sur son bureau quand il fut nommé à matignon. dans sa grande sagesse, il ne demanda de sacrifices qu’aux salariés du privé.
Bien choisir sa cible est la première condition d’une réforme des retraites menée sans – trop – de douleurs. Pour avoir attaqué bille en tête les régimes spéciaux en 1995, alain Juppé fut contraint d’abandonner la bataille en rase campagne. en 2019, emmanuel macron voulut, lui, traiter les agents d’edf, de la ratP ou encore de la snCf
Avoir le soutien de la CFDT, une condition nécessaire mais pas suffisante au succès
comme les autres. C’était le principe même de son système universel. Il dut également renoncer. Entretemps, Nicolas Sarkozy avait été le premier à réussir à ébranler la forteresse, mais sur une période si étalée et avec de telles contreparties que l’on soupçonna une collusion entre le président et Bernard Thibault, à l’époque secrétaire général de la CGT.
ArrAngements pArticuliers
Équilibrer le « salé » – les efforts – et le « sucré » – les compensations – est la deuxième condition d’une réforme des retraites digeste. Soit vis-à-vis des catégories disposant de la plus forte capacité de nuisance, SNCF en tête, soit en direction des publics considérés comme désavantagés dans le monde du travail : carrières longues, pénibles, femmes, chômeurs… Chaque réforme comporte son lot d’arrangements particuliers. Celle de François Fillon en 2003, par exemple, intégra les primes des agents de l’État dans le calcul de leurs pensions. Pensions qui, au passage, dans la fonction publique, sont toujours calculées sur la base des six derniers mois, contre les 25 meilleures années dans le privé. Dernière condition du succès, nécessaire mais non suffisante, avoir la CFDT de son côté. En 1995, le soutien de Nicole Notat ne permit pas de sauver le soldat Juppé. En 2003, François Chérèque fit fuir entre 10 et 20 % de ses adhérents en acceptant les contreparties proposées par François Fillon. En 2019, Laurent Berger se vit reprocher de soutenir l’instauration du régime par points – revendication de la CFDT depuis 2010. L’introduction de l’âge pivot dans la réforme lui permit de rejoindre les autres centrales dans une opposition franche et massive où il campe encore aujourd’hui.