Le Figaro Magazine

Colson Whitehead Le prodige américain

Nous avons rencontré l’écrivain deux fois lauréat du prix Pulitzer qui, dans son nouveau et magistral roman, se plonge dans l’Amérique de la fin des fifties : le vent souffle sur Harlem.

- Nicolas Ungemuth

Les prodiges sont sou- vent agaçants : trop doués, trop calibrés, trop dans l’air du temps. Colson Whitehead n’est pas de ceux-là, malgré ses deux (!) prix Pulitzer. L’écrivain américain, né en 1969, a oeuvré dans plusieurs genres, il a même écrit un roman avec des zombies. En 2017, il a été consacré une première fois pour Undergroun­d Railroad, histoire d’un esclave au XIXe siècle. En 2020, ce fut un nouveau couronneme­nt via Nickel Boys, relatant les tribulatio­ns de jeunes Noirs dans un camp de redresseme­nt.

De toute évidence, on imaginait que pour le suivant, les lecteurs français auraient droit à l’inévitable bandeau « Le livre favori de Barack Obama ». Harlem Shuffle, titre d’un classique soul de 1963 (Bob & Earl, puis les Action, et plus tard encore, les Rolling Stones), échappe aux facilités : Whitehead y décrit la vie d’un jeune Afro-Américain, Ray Carney, de la fin des années 1950 à 1964. C’est un M. Toutle-Monde vendeur de meubles et de radios qui, occasionne­llement, revend des objets volés. Son cousin nigaud et mal parti lui parle d’un casse dans un hôtel prestigieu­x du quartier. Dès les premières pages, tout cela s’annonce déjà lu. Mais Ray Carney, le protagonis­te, n’y participer­a pas, et le roman devient fascinant. C’est une odyssée dans un Harlem disparu, où le héros, malin comme tout, évite tous les pièges pour mieux survivre. La réussite est complète : Whitehead écrit divinement.

Doux géant souriant aux dreadlocks impeccable­s, l’auteur, de passage à Paris, nous explique que depuis ses deux Pulitzer, il ne lit plus grand-chose après une jeunesse passée à dévorer un peu tout : Norman Mailer, James Ellroy, Toni Morrison, mais aussi les comics Marvel et les oeuvres de Stephen King. « Je m’inspire désormais beaucoup du cinéma, et en particulie­r des polars à bas budget comme L’Ultime Razzia de Kubrick, Un après-midi de chien de Lumet ou The Laughing Policeman, avec Walter Matthau. Et même Ocean’s Eleven de Soderbergh. Et je suis un fan des films de Melville, en particulie­r L’Armée des ombres. »

un stylistE imposant

Whitehead souhaitait écrire un livre moins sombre que les précédents. « J’ai tellement aimé mon personnage que j’ai déjà écrit la suite de ses aventures, qui se passera dans les années 1970, puis viendra un autre tome dans la décennie suivante. » La grandeur de l’écrivain, styliste imposant, consiste à ne pas sombrer dans la charge sociale ou politique : « Mon livre se termine avec les émeutes de 1964 à Harlem, après le meurtre d’un jeune Noir par des policiers. Après l’avoir achevé, il y a eu celui de George Floyd. C’est une coïncidenc­e. Il y a eu de légers progrès depuis 1964, et nous avons eu un président noir, mais je pense que les hommes ont une étrange propension à se détester les uns les autres. Mais ce n’est pas le sujet de ce roman. C’est l’histoire d’un homme qui pourrait être corrompu, et qui s’en sort. »

Naturellem­ent, les journalist­es américains, parfois paresseux, n’ont pas manqué d’établir un rapprochem­ent avec Chester Himes. L’auteur répond en souriant : « J’ai lu deux livres de Chester Himes il y a trente ans. L’un s’appelait Rage in Harlem. C’était un Noir qui écrivait sur des Noirs. C’était un peu attendu comme comparaiso­n, non ? » Quant aux deux prix ultimes, que seuls Faulkner, Updike et Tarkington ont reçus, cela ne semble pas tourner la tête de ce calme quinquagén­aire : « La première fois, j’étais ravi. La seconde, c’était durant la pandémie, donc je n’ai pas vraiment pu festoyer. Je me suis donc remis au travail. La plupart des auteurs vous diront qu’ils travaillen­t six ou sept heures par jour. En ce qui me concerne, mon but est d’écrire à peu près huit pages par semaine. Ça me permet d’aller chez le dentiste ou de chercher ma fille à l’école. Tout va bien. »

 ?? ?? Harlem Shuffle, de Colson Whitehead, albin Michel, 432 p. 22,90 €. traduit de l’anglais (États-Unis) par Charles Recoursé.
Harlem Shuffle, de Colson Whitehead, albin Michel, 432 p. 22,90 €. traduit de l’anglais (États-Unis) par Charles Recoursé.

Newspapers in French

Newspapers from France