Le Figaro Magazine

LA POSSIBILIT­É D’UN AMOUR

Le quatrième roman de Clarisse Gorokhoff est le plus romantique de la rentrée de janvier.

- Le livre de frédéric beigbeder

Sous un titre à la Jean d’Ormesson, Défaire l’amour, se cache un roman frêle et sensuel, l’idylle d’une jeune fille avec un beau garçon marié, à istanbul, il y a dix ans. L’histoire est vraie, d’ailleurs l’héroïne porte le nom de l’auteur : Clarisse Gorokhoff, qui est le sosie officiel d’anna Karina dans Pierrot le Fou. Ce récit inaugure la collection « Confession­s » dirigée par thibault de Montaigu sous l’influence de Jean-Jacques rousseau et de Vincent bolloré. Dans ce remake turc de L’Éducation sentimenta­le, la narratrice dubitative se compare à un bâton de dynamite faisant exploser un couple. Onur est

« l’homme que je me suis retenue d’aimer », un stamboulio­te parlant français et ressemblan­t à alain Delon jeune. Le style de Clarisse Gorokhoff détonnait déjà dans ses trois romans précédents : De la bombe (2017), Casse-gueule (2018) et Les Fillettes (2019), où elle transforma­it en fiction la mort de sa mère, sous ses yeux, quand elle avait 6 ans. elle a pris plus de temps (quatre ans) pour rédiger ce journal d’un amour, à rapprocher davantage de Colette que d’ernaux. il existe encore des héroïnes de roman capables de légèreté sans culpabilit­é. Clarisse profite d’un riche, chez qui elle habite. sans la moindre honte, elle se pavane «à bord de son Aston Martin mauve comme un ciel d’été ». elle le trompe avec Onur uniquement parce qu’il est beau gosse sur Facebook : « C’est un corps sain, lisse, avec des courbes qui soulignent sa musculatur­e, une lumière, une chaleur […] et un squelette équilibré, rassurant, sous la peau dorée. » Mme Gorokhoff est l’inventeuse du « female gaze ». La frivolité sexuelle de Clarisse est une claque insolente à toutes les victimes plaintives qui gouvernent actuelleme­nt la littératur­e contempora­ine. Depuis le prologue, on sait qu’Onur finira avec une pétasse et que la romance est condamnée à l’échec, mais Clarisse aime les hommes qui lui échappent : « Que faire d’une personne qui ne me résiste pas ? »

Pour faire de cette histoire éternelle un roman aussi original, il fallait beaucoup de virtuosité. Osons le mot : du romantisme, en 2023 ? ! sans mièvrerie ni naïveté, Gorokhoff raconte le bonheur triste des amants lucides. L’amour est la seule utopie qui rende pessimiste. Gorokhoff, écrivaine ? autrice ? eh non, justement, encore mieux que ça : un concentré d’émotions. tant que le masculin englobera le féminin dans la grammaire française, pour bien exprimer qu’elle rivalise autant avec Musset qu’avec sagan, il faudra écrire ceci : Clarisse Gorokhoff est un écrivain.

Défaire l’amour, de Clarisse Gorokhoff, Robert Laffont, 275 p., 20 €.

 ?? ??
 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from France