LES ZFE, VRAIE BOMBE À RETARDEMENT
Souhaitant interdire l’accès des centres-villes aux véhicules les plus anciens, l’État a délégué aux maires le soin de faire respecter une nouvelle réglementation très stricte et contraignante. Des dizaines de villes ou agglomérations sont concernées, ainsi que des centaines de milliers d’automobilistes qui n’ont pas encore pris toute la mesure des très lourdes conséquences – notamment financières – de ce changement radical.
Aix, bordeaux, Grenoble, Lille, Lyon, marseille, montpellier, nice, Paris, reims, rouen, saint-Étienne, strasbourg, toulouse… : d’ores et déjà, une quinzaine de villes ou agglomérations sont soumises aux ZFe-m. entendez : « zones à faibles émissions mobilité ». Cette nouvelle réglementation restreint l’accès à ces espaces urbains, majoritairement les centres-villes. L’objectif : limiter la pollution en interdisant à certains véhicules de pénétrer dans le coeur ou certaines zones de l’agglomération. Le sésame est la vignette Crit’air qu’il faut impérativement apposer sur son pare-brise et qui classe les véhicules selon, pour faire simple, leur année de construction. sachez-le : à partir du 31 décembre 2024, toutes les agglomérations de plus de 150 000 habitants devront avoir leur ZFe-m. soit plus de 40 villes. environ 500 000 véhicules se verront ainsi interdire de circuler dans certaines parties du territoire. « Entre un quart et un tiers des véhicules sont concernés », selon la revue professionnelle Transports urbains. Parmi elles, on remarque de fortes disparités sociales ou géographiques. ainsi, à y regarder de plus près, on se rend compte que cette règle n’affectera que 10 % des ménages de l’ouest parisien, contre 38 % dans l’est. à l’échelle nationale, elle ne vise que 20 % des véhicules chez les ménages aisés, et 40 % chez les plus modestes. « La France périphérique victime collatérale des ZFE », titrions-nous dans une grande étude réalisée par le Fig data. elle révélait que 75 % des actifs résidant à l’extérieur d’une métropole s’y rendent en voiture. « Les restrictions ne concernent souvent que les horaires de travail. C’est le cas notamment du Grand Paris, où la règle s’applique du lundi au vendredi, de 8 heures à 20 heures. Le résident du centre-ville pourra ainsi continuer de partir en week-end la conscience écologique tranquille », écrivions-nous en novembre dernier.
UN CASSE-TÊTE POUR LES MAIRES
L’État, à l’origine de cette réglementation, a délégué aux maires ou aux présidents de métropole la charge de la mettre en place. on comprend le principe : le risque politique est évidemment fort et chacun garde en mémoire le mouvement des « gilets jaunes ». Pourtant, ce sont les maires de gauche qui ont la main la plus lourde en la matière. anne Hidalgo a instauré la première ZFe à Paris, dénommée ZCr (zone à circulation restreinte). C’était en septembre 2015. et bien que socialiste, elle continue ainsi sa chasse aux banlieusards. alors qu’à montpellier, michaël delafosse, maire également socialiste, a choisi de n’interdire que les véhicules non classés. on le voit : les règles varient selon les lieux. Qui plus est, elles changent au fil du temps. depuis le début du mois de janvier, trois villes ont décidé de durcir leurs règles. toulouse interdit désormais les Crit’air 4, 5 et non classés. Ce qui, d’après les associations d’automobilistes locaux, représente 48 000 véhicules. Paris et Grenoble restent néanmoins les plus sévères, avec l’interdiction des Crit’air 3, 4, 5 et non classés.
Pour s’adapter aux décisions de l’État, et surtout tenter d’éviter la fronde sociale, certains maires temporisent. Ce sont en effet eux qui sont chargés des mesures d’accompagnement ou des dérogations qui peuvent être mises en place pour les professionnels comme pour les particuliers. Certains
ont ainsi créé les « Pass » 12, 24 ou 52. À Strasbourg, on peut demander un Pass permettant de pénétrer la zone 24 fois par an. Plus anecdotique, à Reims, les producteurs locaux et transporteurs de raisin peuvent demander une dérogation à titre individuel, le temps des vendanges. On frise parfois l’incongruité : à Marseille, il existe une ZFE autour du port, alors que les vrais pollueurs sont les paquebots et autres cargos…
DES RÈGLES DIFFÉRENTES D’UNE VILLE À L’AUTRE
Sachez par ailleurs que la loi climat et résilience, adoptée en 2021, prévoit un calendrier national d’interdiction de circulation au 1er janvier 2023 pour les véhicules à diesel d’avant 2001, et ceux à essence d’avant 1997. Au 1er janvier 2024, ce seront les diesels d’avant 2006 qui seront interdits ; au 1er janvier 2025, les diesels d’avant 2011 et les essence d’avant 2006. Autrement dit, une somme d’interdictions extrêmement contraignantes qui frôlent la privation d’une des libertés de base, à valeur constitutionnelle : celle d’aller et venir.
L’État a délégué aux édiles locaux le soin de mettre en place cette réglementation. Mais celle-ci est tellement compliquée que le gouvernement a dû émettre un fascicule de 52 pages à l’usage des maires et des présidents d’agglomération. Les voilà nantis du « Guide d’interprétation juridique et pratique des ZFE-m ». Le résultat est kafkaïen. Car désormais, pour circuler d’une ville à l’autre, l’automobiliste devra vérifier au préalable quelles sont les interdictions locales et leurs spécialités. Enfin, le calendrier très court dont disposent les professionnels, à commencer par les artisans, pour se mettre en règle, augure de sérieuses difficultés pour eux. Souvent résidant hors des centres-villes, ils se verront exposés, outre les contraintes de stationnement de plus en plus draconiennes, à l’interdiction d’accès à certaines zones… sauf à changer de véhicule. On cite aussi le cas caricatural des vendeurs ambulants sur les marchés situés en centre-ville qui ne peuvent plus accéder aux places où ces marchés ont lieu ! Quant aux voitures de collection, on en verra moins : la Fédération française des véhicules d’époque n’a pas obtenu, à ce jour, de dérogation nationale. Les organisateurs de rallyes devront s’adapter au gré des volontés des maires. Nous reprendrons la formule si juste de l’ancienne présidente de la SNCF, AnneMarie Idrac, lancée lors du dernier colloque du think tank TDIE, le 30 janvier dernier : « Les ZFE, c’est une forme de péage urbain qui ne veut pas dire son nom, mais sans les recettes. »
VERBALISATION AUTOMATIQUE EN 2024
Une réglementation si compliquée que le gouvernement a émis un fascicule de 52 pages à l’usage des maires et des présidents d’agglomération
Certes, on ne peut pas mésestimer les conséquences sanitaires de la pollution. Pour autant, si les ZFE contribuent à faire baisser les émissions de particules, comme les études l’ont prouvé, cette efficacité reste très locale. La pollution ne disparaît pas, elle est simplement déplacée vers d’autres zones de périphérie, en particulier celles habitées par les classes plus populaires. « Se limiter à promouvoir les ZFE pour faire diminuer la pollution revient à soutenir en priorité le secteur automobile, en remplaçant les véhicules polluants par d’autres moins polluants », souligne de son côté Michel Quidort, vice-président de la Fédération nationale des associations d’usagers des transports (Fnaut), qui ajoute : « Les ZFE favorisent les usagers qui ont des revenus suffisants pour s’y adapter. » Et de plaider pour une approche plus globale des mobilités, avec un accent particulier sur l’amélioration du transport public, qui serait un remède autrement plus efficace contre la pollution dans l’espace contraint des grandes métropoles. Vouloir que les utilisateurs changent de véhicule pour un autre n’aidera en rien à la décarbonation nécessaire. La grande problématique est ce qu’on appelle « l’autosolisme » : une personne par véhicule, or, pour beaucoup de ces usagers, il n’existe pas encore de solution alternative.
Enfin, ne comptez pas passer à travers des mailles du filet si vous n’avez pas la bonne vignette : si jusqu’à présent la verbalisation était faible car elle se faisait manuellement, à partir de 2024, elle sera automatique, effectuée par des caméras de surveillance, avec à la clé des amendes de 68 euros par infraction pour les voitures, et de 135 euros pour les utilitaires.