Le Figaro Magazine

Notre-Dame QUEL MOBILIER ?

L’archevêque de Paris fait concourir cinq artistes pour concevoir le nouveau mobilier liturgique de la cathédrale. L’irruption de la modernité dans un bâtiment riche d’une histoire de plus de 850 ans devrait, sauf miracle, susciter la polémique.

- Par Guyonne de Montjou

On imagine une dissertati­on de l’École des chartes : un tabernacle ou un autel sont-ils des oeuvres d’art comme les autres ? Quel est l’effet de l’harmonie esthétique sur l’âme ? À quelles conditions une oeuvre peut-elle inviter au recueillem­ent ? « Le beau nous dit Dieu, résume de façon laconique Mgr Olivier Ribadeau-Dumas, recteur-archiprêtr­e depuis septembre dernier de la cathédrale. L’âme de Notre-Dame, c’est le culte qui y est célébré. L’aménagemen­t intérieur doit rendre possible à tous les visiteurs une rencontre avec le Christ. » Plus ou moins proches de l’Église, cinq artistes planchent depuis deux mois sur le nouveau mobilier liturgique et doivent rendre leur copie le 23 mai. Après délibérati­on du comité artistique composé de 18 membres autour de Mgr Ulrich, archevêque de Paris, un seul sera chargé de l’ensemble. Il devra réaliser le baptistère, situé à l’entrée de la nef, l’autel, point focal du lieu, puis le tabernacle placé au-dessus de l’autel de Viollet-le-Duc, la cathèdre (siège de l’évêque) au nord et enfin l’ambon, sorte de pupitre où la Bible est proclamée, situé à côté de la Vierge, au sud.

pierre blonde

« La parole nous vient de biais, elle nous traverse, nous percute », s’enflamme le recteur, qui a lui-même été ordonné prêtre à Notre-Dame il y a trente-deux ans et qui se souvient s’être allongé sur la pierre froide au moment de promettre obéissance à son évêque. « Ce ne sera pas une scène de théâtre mais bien un espace dédié à faire vivre le mystère. Il existe une dignité unique, intrinsèqu­e à la liturgie dans Notre-Dame. » Les artistes ont pu visiter le site et découvrir la pierre blonde sous les échafaudag­es. Pour discuter de leur projet, trois rencontres sont prévues avec le comité d’accompagne­ment composé du régisseur général, de trois prêtres, d’un ancien architecte en chef des Monuments historique­s et du recteur. « Nous ne leur posons pas de questions sur leur vie spirituell­e ou sur leur pratique religieuse, s’enhardit ce dernier à leur sujet. Pour le moment, nos échanges sont fructueux. » Concevoir des oeuvres pour que ce rituel, intact malgré quelques variations depuis deux mille ans, puisse continuer d’opérer, tel est le défi. Le lauréat sera annoncé l’été prochain.

1 Constance Guisset, unique femme de la sélection, est une artiste parisienne, loquace, malicieuse, au caractère affirmé. Née en 1976, féministe assumée et progressis­te sur les questions de société, cette diplômée de l’essec, de Sciences Po et de l’École nationale supérieure de création industriel­le (eNSCI) tient une cadence de commandes éclectique­s en ce début d’année : dans son atelier parisien, elle prépare des « installati­ons performiqu­es » pour différents sites ici et là, livre les bancs de l’église Sainteusta­che à Paris et met la dernière main à sa première exposition monographi­que prévue à Milan au printemps. Artiste tous azimuts, dépourvue d’autocensur­e, sa propositio­n devrait surprendre.

2 Pascal Convert, né en 1957, est un méditatif, lancé à la recherche de Dieu à travers son art. Plasticien touche-à-tout, également documentar­iste, féru d’histoire, il a travaillé sur l’Arménie, les bouddhas de Bâmiyân après avoir documenté l’engagement de Daniel Cordier dans la Résistance. Ses Cristallis­ations, statues du Christ en bois transformé en un verre de couleur grise, irrégulier et partiellem­ent translucid­e sous l’effet de la combustion, invitent à une réflexion spirituell­e sur la fragilité des vies et ouvrent le « regard intérieur » aux empreintes de Dieu dans celles-ci. Pascal Convert a résidé à la villa Médicis en 1989 avant de réaliser de multiples oeuvres, parmi lesquelles un monument en hommage aux fusillés du mont Valérien, puis certains vitraux de l’église de Saint-Gildas-des-Bois (Loire-Atlantique).

3 Laurent Grasso est né en 1972. Il a étudié à la Cooper Union School de New York, ainsi qu’à la Central Saint Martins de

Londres. Il est diplômé de l’École nationale supérieure des beauxarts de Paris (2001) et a effectué un postdiplôm­e au Fresnoy (20012003). Dans son itinéraire artistique, il a pris l’habitude de s’appuyer sur la vidéo. Fasciné par l’astre solaire et ses ramificati­ons, par les croyances et les rituels, par l’irruption du visible dans l’invisible et inversemen­t, il présente actuelleme­nt une exposition monographi­que au Collège des Bernardins, à Paris.

4 Guillaume Bardet, diplômé de l’École nationale supérieure des arts décoratifs (Ensad), et lui aussi ancien résident de la villa Médicis, a signé récemment une imposante oeuvre au couvent dominicain Sainte-Marie de La Tourette (Rhône). Âgé de 51 ans, friand de grands projets, il a dessiné puis fabriqué 365 objets au fil d’une année, dans une initiative baptisée L’Usage des jours. Concepteur de meubles mais aussi performant dans le domaine de l’architectu­re d’intérieur et de l’urbanisme, il a enseigné de surcroît à l’ENSCI.

5 Nicolas Alquin et son fils Marc Alechinsky, seul binôme en lice, viennent de signer ensemble le mobilier liturgique de l’église Saint-Jean-Baptiste de Sceaux (Hauts-de-Seine), tout en bois, or et laiton. Sculpteur de figures orantes et spirituell­es, né en 1958, le premier est familier de l’univers de l’art sacré. Il travaille avec son fils architecte et designer. « D’âges et de métiers différents mais complément­aires, explique le communiqué du diocèse de Paris, ces deux concepteur­s croisent leurs angles de vision pour la création d’oeuvres spirituell­es, dans un dialogue incessant entre l’héritage iconograph­ique judéochrét­ien et l’influence des arts premiers sur l’art occidental contempora­in. »

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