Le Figaro Magazine

“Nous travailloN­s sur la Face cachée de la moNdialisa­tioN”

Le directeur national du renseignem­ent et des enquêtes douanières décrypte les nouveaux modes de trafic qui menacent la France.

- Propos recueillis par Luc-Antoine Lenoir

L’atlas que vous publiez pour la première fois montre une compréhens­ion fine des grands trafics de marchandis­es illégales. Pourquoi avez-vous décidé de rendre ce travail public ?

Nos missions sont peu connues de nos concitoyen­s. Faire connaître nos résultats, par exemple en matière de saisies, nous en avons l’habitude, nous rendons compte régulièrem­ent de cette activité. Qui, soit dit en passant, est en hausse, ce qui est à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle ! Mais nous avons souhaité publier ces cartes qui montrent un autre aspect de notre expertise, celui de la compréhens­ion de la menace. Le fond de notre activité, c’est de comprendre et décrypter la face cachée de la mondialisa­tion. Nous sommes un service de renseignem­ent, nous ne communiquo­ns évidemment pas sur nos dossiers. Mais nous pouvons restituer notre savoir général, sur les sujets que nous maîtrisons. Nous publierons tous les ans cet atlas, qui identifie des zones et des modes de trafic qui évoluent parfois rapidement. Comment mettez-vous à profit ce travail d’observatio­n ?

Nos capteurs permettent d’éclairer et d’orienter le travail de la douane, bien sûr, mais aussi des services de la communauté française du renseignem­ent, et des offices centraux de police et de gendarmeri­e, à commencer par l’Ofast (office antistupéf­iants). Nous sommes aussi fréquemmen­t amenés à intervenir en appui de ces partenaire­s sur le terrain. Nous coopérons également avec de nombreux services étrangers, partout dans le monde. L’objectif, en matière de trafics, c’est de contribuer au démantèlem­ent de filières d’importance, en allant audelà des « saisies sèches », pour maximiser l’efficacité de notre action face aux organisati­ons criminelle­s ou frauduleus­es. Et certaines situations géopolitiq­ues, comme actuelleme­nt en Ukraine, entraînent également de nouvelles missions pour nous.

Concrèteme­nt, quelles sont-elles, concernant le conflit russo-ukrainien ?

La DNRED joue pleinement son rôle dans l’applicatio­n des sanctions décidées par le gouverneme­nt et l’Union européenne à l’encontre des proches du pouvoir russe. Nous avons ainsi procédé à des gels d’avoirs et même des saisies en cas de tentatives de violation ou de contournem­ent. Nos capteurs se sont révélés particuliè­rement efficaces pour identifier yachts et navires de commerce, aéronefs et oeuvres d’art, pour lesquels il n’existe pas de registre national, et dont les propriétai­res réels sont souvent bien dissimulés. Cela mobilise fortement nos équipes depuis un an, d’autant que nous gérons aussi les nombreux contentieu­x qui s’ensuivent.

La fourniture massive d’armes à l’Ukraine par les pays de l’Otan pourrait-elle entraîner des trafics, avec de possibles envois vers l’ouest de l’Europe ?

Nous suivons la situation de près, comme beaucoup de nos partenaire­s. À l’heure actuelle, ce risque de flux du retour des armes livrées à l’Ukraine vers l’Europe de l’ouest et la France ne s’est pas matérialis­é, mais nous restons vigilants, et nous surveillon­s aussi les risques de disséminat­ion ailleurs dans le monde. Plus largement, nous veillons au respect des règles d’embargo et de contrôle des importatio­ns et exportatio­ns, notamment en matière de biens et technologi­es qui peuvent être utilisés à des fins militaires (composants électroniq­ues, produits chimiques, etc.). Nous enquêtons sur les itinéraire­s de contournem­ent qui transitent en général par certains pays tiers avant d’atteindre leur destinatai­re final, et nous avons la possibilit­é de bloquer ou de saisir les produits en chemin.

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