“Nous travailloNs sur la Face cachée de la moNdialisatioN”
Le directeur national du renseignement et des enquêtes douanières décrypte les nouveaux modes de trafic qui menacent la France.
L’atlas que vous publiez pour la première fois montre une compréhension fine des grands trafics de marchandises illégales. Pourquoi avez-vous décidé de rendre ce travail public ?
Nos missions sont peu connues de nos concitoyens. Faire connaître nos résultats, par exemple en matière de saisies, nous en avons l’habitude, nous rendons compte régulièrement de cette activité. Qui, soit dit en passant, est en hausse, ce qui est à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle ! Mais nous avons souhaité publier ces cartes qui montrent un autre aspect de notre expertise, celui de la compréhension de la menace. Le fond de notre activité, c’est de comprendre et décrypter la face cachée de la mondialisation. Nous sommes un service de renseignement, nous ne communiquons évidemment pas sur nos dossiers. Mais nous pouvons restituer notre savoir général, sur les sujets que nous maîtrisons. Nous publierons tous les ans cet atlas, qui identifie des zones et des modes de trafic qui évoluent parfois rapidement. Comment mettez-vous à profit ce travail d’observation ?
Nos capteurs permettent d’éclairer et d’orienter le travail de la douane, bien sûr, mais aussi des services de la communauté française du renseignement, et des offices centraux de police et de gendarmerie, à commencer par l’Ofast (office antistupéfiants). Nous sommes aussi fréquemment amenés à intervenir en appui de ces partenaires sur le terrain. Nous coopérons également avec de nombreux services étrangers, partout dans le monde. L’objectif, en matière de trafics, c’est de contribuer au démantèlement de filières d’importance, en allant audelà des « saisies sèches », pour maximiser l’efficacité de notre action face aux organisations criminelles ou frauduleuses. Et certaines situations géopolitiques, comme actuellement en Ukraine, entraînent également de nouvelles missions pour nous.
Concrètement, quelles sont-elles, concernant le conflit russo-ukrainien ?
La DNRED joue pleinement son rôle dans l’application des sanctions décidées par le gouvernement et l’Union européenne à l’encontre des proches du pouvoir russe. Nous avons ainsi procédé à des gels d’avoirs et même des saisies en cas de tentatives de violation ou de contournement. Nos capteurs se sont révélés particulièrement efficaces pour identifier yachts et navires de commerce, aéronefs et oeuvres d’art, pour lesquels il n’existe pas de registre national, et dont les propriétaires réels sont souvent bien dissimulés. Cela mobilise fortement nos équipes depuis un an, d’autant que nous gérons aussi les nombreux contentieux qui s’ensuivent.
La fourniture massive d’armes à l’Ukraine par les pays de l’Otan pourrait-elle entraîner des trafics, avec de possibles envois vers l’ouest de l’Europe ?
Nous suivons la situation de près, comme beaucoup de nos partenaires. À l’heure actuelle, ce risque de flux du retour des armes livrées à l’Ukraine vers l’Europe de l’ouest et la France ne s’est pas matérialisé, mais nous restons vigilants, et nous surveillons aussi les risques de dissémination ailleurs dans le monde. Plus largement, nous veillons au respect des règles d’embargo et de contrôle des importations et exportations, notamment en matière de biens et technologies qui peuvent être utilisés à des fins militaires (composants électroniques, produits chimiques, etc.). Nous enquêtons sur les itinéraires de contournement qui transitent en général par certains pays tiers avant d’atteindre leur destinataire final, et nous avons la possibilité de bloquer ou de saisir les produits en chemin.