LES HABITS NEUFS DE L’AUTODAFÉ

Qui contrôle le passé […] contrôle le futur. Qui contrôle le présent contrôle le passé. » Ce théorème orwellien dont les totalitarismes ont toujours su faire bon usage est d’actualité. La maison d’édition anglaise Puffin publie des versions revisitées, c’est-à-dire réécrites, de certaines oeuvres de Roald Dahl. La cause d’une telle épuration lexicale ? Le blasphème ! Cet auteur de livres pour enfants n’ayant pas connu l’apocalypse woke, il aurait écrit des textes qui outragent les bonnes moeurs du temps. Offensent la sainte douleur des minorités opprimées. Méconnaissent leur fonction messianique. Mais, surtout, compromettent la conversion des petits enfants en les rendant inaptes à devenir les citoyens du Wokistan futur.

De tels crimes ne pouvaient rester impunis. L’oeuvre a donc été épurée. Toutes les impiétés lexicales en ont été bannies et remplacées par une novlangue inclusive exempte de tout péché.

En son temps, Staline faisait effacer des photos de ses camarades qu’il avait fait occire. En leur temps les nazis, moins subtils, brûlaient les livres. Nous sommes bien plus avancés, plus raffinés, plus radicaux : pourquoi brûler un livre puisque nous avons les moyens de le réécrire ? Pourquoi brûler un homme puisque nous avons les moyens d’asservir sa psyché dès l’enfance ? Pourquoi brûler le passé puisque nous avons les moyens de le recréer afin qu’il rende possible le futur que nous souhaitons bâtir ? Ainsi parle le soft power, le nec plus ultra de la terreur, le Saint-Graal des matons de l’âme. Bienvenue dans sa matrice.