Le Figaro Magazine

Le retourneme­nt d’un écrivain

Communiste orthodoxe, le Soviétique Vassili Grossman changea le jour où il comprit les analogies du système stalinien et du système hitlérien.

- LA PAGE D’HISTOIRE DE JEAN SÉVILLIA

Il est des romanciers dont la vie et les livres ont une significat­ion pour l’Histoire. tel est le cas de Vassili Grossman, dont l’essentiel de l’oeuvre est publié par Calmann-Lévy dans des traduction­s nouvelles. Né en ukraine en 1905, au sein d’une famille détachée du judaïsme, Grossman sera longtemps un stalinien orthodoxe. De 1941 à 1945, il est correspon- dant de guerre sur le front russe, publiant ses récits dans l’Étoile rouge, le journal de l’armée rouge avec laquelle il entre dans berlin après avoir pénétré dans le camp de treblinka libéré. en 1943, il a entrepris l’écriture d’une fresque dépeignant la société soviétique à partir de l’exemple d’une famille, les Chapochnik­ov. La première partie, Pour une juste cause, est publiée en 1952. Première polémique : on reproche à l’auteur de minimiser le rôle du parti dans la conduite de la guerre. La seconde partie, Vie et destin, est écrite entre 1950 et 1960. Grossman porte le manuscrit à la revue Znamia, laquelle le transmet au KGb. en 1961, le manuscrit est saisi. Pourquoi ? Grossman, écrivain officiel du régime, est devenu en dix ans un féroce adversaire du système soviétique qu’il dénonce dans Vie et destin. il mourra d’un cancer en 1964, brisé moralement par l’enterremen­t de sa création. Vie et destin, transmis clandestin­ement, a paru en russe en occident en 1980, en français en 1983, époque où dominait encore la guerre froide. Le déclic du retourneme­nt de Grossman se situe vers 1950, avec la découverte de son identité juive à la suite de la vague antisémite qui avait déferlé sur l’urss. Le diptyque formé par les deux romans met en scène la bataille de stalingrad, les contre-offensives soviétique­s et l’échec allemand, l’auteur braquant son projecteur sur des dizaines de personnage­s réels ou fictifs représenta­nt le peuple russe, mais aussi les allemands. Démontant le mécanisme de la terreur soviétique, avec son cortège de délations, d’arrestatio­ns et de séjours en camp, Grossman découvre l’analogie avec le système hitlérien. La réponse de l’écrivain, pour lui-même, sera le retour à ses origines juives : face au totalitari­sme, il faut se réenracine­r. et pour tous, ne jamais céder sur le respect dû à l’homme.

Pour une juste cause (1 064 p., 31 €) et Vie et destin (1 008 p., 31 €), de vassili Grossman, calmann-Lévy. chez le même éditeur : Tout passe, (roman), Carnets de guerre 1941-1945 et Souvenirs et correspond­ance.

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