Le Figaro Magazine

LUIGI EST DE RETOUR

Le premier roman de Violette d’Urso ressuscite un homme d’une élégance incomparab­le : son père.

- Le livre de frédéric beigbeder

Les livres sur les morts sont leur seule chance de revenir. il est plutôt joyeux de voir ressuscite­r un ami. Violette d’urso, 23 ans, a écrit son premier roman pour faire connaissan­ce avec son père. elle avait 6 ans quand le coeur de Luigi s’est arrêté de battre, dans un escalier de la rue Montalivet. La chance : moi, j’ai dû supporter pendant deux décennies son chapeau nonchalant, ses espadrille­s blanches, ses vestes cintrées, son érudition snob, son accent chic et ses chemises Charvet. il ne voulait jamais aller se coucher ; c’est peut-être pour ça qu’il avait toujours l’air fatigué. Ce que nous prenions pour de la sprezzatur­a (désinvoltu­re, en italien) était une mélancolie digne, l’orgueil des défoncés, le fantôme de sa mère droguée, morte quand il avait 9 ans.

Violette a enquêté pour comprendre pourquoi son père lui a imposé la même enfance que la sienne. La scène où elle apprend que son père ne viendra pas la chercher sur le quai de la gare est une splendeur. Le style d’urso, c’est l’ellipse. tel père, telle fille : « Il y a souvent beaucoup de gens que je ne connais pas aux moments importants de ma vie. » relisez cette phrase, écoutez comment Violette d’urso critique la mondanité des enterremen­ts, la légèreté hypocrite. François sagan aurait pu écrire cette phrase. sa mère, inès de la

Fressange, aurait pu la prononcer aussi, de sa voix cassée. il se publie beaucoup de règlements de comptes familiaux mais il est rare de lire un hommage tendre, blessé, sans revanche à prendre, et pourtant si plein de regrets. Comme si la fille de Luigi lui disait : tu as gâché ma vie mais je t’aime quand même. Je me suis aperçu en lisant son livre que je ne connaissai­s pas plus Luigi que sa fille. Nous étions tous très étourdis dans les années 1990. Notre but était simple : perdre la mémoire, peut-être pour devenir un souvenir dans celle des autres. Luigi d’urso aurait très mal supporté le XXie siècle, où toute déglingue est jugée inadmissib­le. La dernière fois que je l’ai vu, c’était à New York, au restaurant PJ Clarke’s. Nous avons déjeuné avec le photograph­e Peter beard. Je crois me souvenir qu’il y avait du Jack Daniel’s sur la table. Luigi m’a conseillé de voler le savon liquide au goût d’amande, dans les avions air France. C’est un souvenir merveilleu­x, léger, comme un moment de grâce. il y a des gens qui ont un talent pour vivre. ils embellisse­nt le monde et les êtres par leur seule présence. Luigi était ainsi. sa fille Violette a très bien compris que son père était un personnage de roman. aujourd’hui, il serait très fier de sa fille.

Même le bruit de la nuit a changé, de Violette d’Urso, Flammarion, 296 p., 20 €.

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