Le Figaro Magazine

UN SCANDALE D’ÉTAT

- Par Judith Waintraub

Décapité pour avoir montré en cours les caricature­s de Mahomet publiées par « Charlie Hebdo », l’enseignant a été laissé seul face à son bourreau par l’administra­tion de l’Éducation nationale, les services de renseignem­ent, mais aussi ses collègues. C’est ce que révèle l’enquête approfondi­e du journalist­e Stéphane Simon dans un livre qui fera date. Et dont l’auteur n’hésite pas à parler de « scandale d’État ».

Le 16 octobre 2020, le professeur d’histoiregé­ographie samuel Paty, 47 ans, était décapité dans la rue en rentrant du collège de conflans-sainteHono­rine où il enseignait. son assassin, un réfugié russe d’origine tchétchène, avait eu le temps de se vanter d’avoir « vengé le prophète Mohammed » sur les réseaux sociaux avant d’être abattu par la police. ce n’était pas un attentat de plus dans la longue liste des crimes perpétrés sur notre sol au nom de l’islam. La barbarie islamiste venait de frapper la République au coeur, cette « République qui renaît chaque jour dans les salles de classe », comme devait le dire emmanuel macron lors de l’hommage national rendu à samuel Paty dans la cour de la sorbonne.

Les mots du Président furent à la hauteur du choc, immense, ressenti par tous les Français. Parmi eux, stéphane simon. Le producteur de thierry ardisson, cofondateu­r avec michel Onfray de la revue Front populaire, est le descendant d’une lignée de « hussards noirs » venus enseigner la République en Vendée. son histoire familiale lui a permis de mesurer ce que pouvait vivre un enseignant confronté à un milieu hostile.

« Cela n’avait rien d’une partie de plaisir, note-t-il dans son introducti­on, mais jamais on n’a vu la tête d’un instituteu­r rouler dans le caniveau. » c’est pour comprendre comment la France en est arrivée là qu’il a écrit

Les Derniers Jours de Samuel Paty.

Quand Samuel Paty est assassiné, le 16 octobre 2020, Jean-Michel Blanquer tente depuis trois ans de défendre la laïcité à l’école. Aucun ministre de l’Éducation nationale ne s’est autant engagé dans ce combat. Pourquoi vat-il lui aussi échouer ? il est vrai que Jean-michel Blanquer a toujours été conscient que l’école était attaquée et la laïcité menacée par l’islam politique. dès son arrivée au ministère, il a essayé de remettre les valeurs de la République au coeur du système éducatif. contrairem­ent à ses prédécesse­urs et en particulie­r à najat Vallaud-Belkacem, qui concevait l’école comme un creuset de la diversité plutôt qu’un creuset de l’unité nationale. Or, l’islam politique, je le rappelle dans mon livre, cible l’école parce que c’est un lieu de formation des esprits. Jean-michel Blanquer l’avait compris et d’une certaine façon, à première vue, c’est le ministre « malchanceu­x » sous lequel ce drame

n’aurait pas dû arriver. En vérité, les outils qu’il a mis en place pour remonter les informatio­ns du terrain n’ont pas fonctionné correcteme­nt. Je l’ai rencontré : il m’a soutenu qu’il n’avait jamais entendu parler de Samuel Paty avant son assassinat, ce qui laisse pantois quand on sait combien de notes sur les menaces à son encontre lui ont été adressées ! Quand je l’ai interrogé, il m’a dit que son cabinet recevait entre 30 et 40 alertes par jour, trop pour être toutes traitées. Dès lors, si on ne met pas de moyens en face, si les informatio­ns ne sont pas destinées à être traitées, à quoi sert de les collecter ?

Votre livre est sous-titré « Enquête sur une tragédie qui aurait dû être évitée ». C’est une affirmatio­n grave…

J’ai écrit « dû » et pas « pu » être évitée parce qu’au cours de mon enquête, j’ai acquis la conviction que si tout le monde avait pris ses responsabi­lités, des précaution­s dont certaines étaient très faciles à mettre en oeuvre auraient empêché cette tragédie. Le ministère, le rectorat, la principale du collège auraient pu tout simplement dire à Samuel Paty d’aller se mettre au vert. Quand la menace est à son pic, on est à quelques jours des vacances scolaires, mais aussi juste après le discours d’Emmanuel Macron contre le séparatism­e, qui met la mouvance islamiste en ébullition. La principale ne mésestime pas la gravité de la menace, elle agit en responsabi­lité en donnant l’alerte, mais les procédures kafkaïenne­s font que ça se perd dans les tuyaux ! À l’Éducation nationale, on renvoie au ministère de l’Intérieur la responsabi­lité de l’absence de protection de Samuel Paty. De nombreux signalemen­ts ont été faits sur celui qui allait devenir son assassin, mais de façon isométriqu­e à l’Éducation nationale, les services de renseignem­ents intérieurs n’ont pas traité les alertes.

Samuel Paty est aussi lâché par bon nombre de ses collègues profs. Comment l’expliquez-vous ?

Non seulement lâché, mais dénigré ! Le lundi précédant l’assassinat de Samuel Paty, il participe à une réunion de profs qui dégénère en procès contre lui. À de rares exceptions près, ses collègues lui disent qu’il a fauté, « merdé » – c’est le terme utilisé par une prof. Certains iront jusqu’à critiquer violemment son cours sur les caricature­s en classe, devant leurs élèves ! Je signale au passage que les caricature­s de Mahomet de Charlie Hebdo sont disponible­s sur le réseau Canopé, missionné par l’Éducation nationale pour fournir du matériel pédagogiqu­e aux enseignant­s. Il n’y a donc rien d’anormal à s’en servir. Le référent laïcité du collège et la principale leur demanderon­t de faire preuve d’un peu de solidarité et feront pression pour que ces collègues n’exercent pas leur droit de retrait. Ce que j’ai vu des échanges sur la messagerie interne est consternan­t. Ces profs doivent d’ailleurs avoir réalisé qu’ils n’ont pas montré leur meilleur visage car ils fuient les micros. Deux seulement ont accepté de parler. L’un avait proposé de raccompagn­er Samuel Paty chez lui en début de semaine du drame mais a eu un empêchemen­t le jour de l’assassinat. Pour autant, il ne mérite pas d’être accablé, c’est un de ceux qui ont aidé Samuel ! Une autre anecdote est significat­ive : Samuel vient habituelle­ment au travail à pied (il habite à 950 mètres du collège), mais se sentant menacé, il pense utiliser sa voiture. Problème : pour se garer à l’intérieur de l’enceinte de l’établissem­ent, il faut un bip pour ouvrir la grille d’entrée. Le sien ne fonctionne plus, il a demandé sa réparation. L’administra­tion du collège ne saura pas le remplacer à temps et aucun de ses collègues ne lui aura proposé le sien. C’est un détail qui en dit long : ça lui aurait évité de se retrouver dans la rue face à son assassin !

L’Éducation nationale n’est pas la seule à avoir failli. Votre livre met aussi en évidence les manquement­s

Le lundi précédant son assassinat, une réunion de profs dégénère en procès contre lui

de la police et du renseignem­ent. Comment ont-ils pu à ce point sous-estimer la menace ?

Là encore, on se demande à quoi servent les outils de surveillan­ce mis en place. L’assassin de Samuel Paty, Abdoullakh Anzorov, a été signalé à plusieurs reprises pour ses agissement­s « pro-djihad » sur les réseaux sociaux. La plate-forme Pharos reçoit de nombreux signalemen­ts, traités en principe par des pros de l’Office central de lutte contre la criminalit­é et transmis à la DGSI (Direction générale de la Sécurité intérieure). Mais rien ne se passe.

La famille Anzorov tout entière est dans le viseur des services sociaux et du renseignem­ent. Pourtant, la DGSI et les renseignem­ents territoria­ux n’ont rien vu venir. Au contraire, certains fonctionna­ires des renseignem­ents territoria­ux ont eu tendance à minimiser la menace alors qu’elle est devenue virale sur les réseaux sociaux – c’est également ce qui est tristement exemplaire dans cette tragédie. Certains protagonis­tes de l’affaire, comme Abdelhakim Sefrioui, agitateur islamiste, sont de vieilles connaissan­ces des services. Lui se présente comme « le représenta­nt des imams de France », pure affabulati­on, et va relayer la vidéo du père de la jeune fille qui prétend avoir été expulsée d’un cours qu’elle a séché (lire extraits p. 50 à 54) et fabriquer des vidéos d’appels à la haine contre

Paty. Elles seront vues des centaines de milliers de fois.

Est-ce de l’incompéten­ce de la part des services ou avez-vous une autre explicatio­n ?

Il y a plusieurs hypothèses qui courent. La négligence de fonctionna­ires débordés qui croulent sous les dossiers, l’erreur humaine, le manque de compétence. Le cas Sefrioui et celui de Priscilla Mangel, autre islamiste « peu discrète » mise en examen, sont à l’origine de spéculatio­ns : sont-ils des « sources » que nos services laissent s’agiter dans les sphères islamistes en échanges d’infos ? Rien de certain n’étaye cette thèse à ce stade de l’enquête.

Des procès vont avoir lieu. Qu’en attendez-vous ?

L’enquête menée par le juge Foltzer et les policiers de l’antiterror­isme est bouclée et le procès devrait arriver début 2024. Une partie des audiences pourrait se tenir à huis clos, puisque parmi les quatorze individus mis en examen dans cette affaire, il y a six mineurs. Dont la fille de Brahim Chnina, la collégienn­e menteuse, mise en examen pour « dénonciati­on calomnieus­e ». Une deuxième instructio­n est en cours, suite à la plainte déposée l’an dernier par les membres de la famille Paty contre des agents des ministères de l’Éducation nationale et de l’Intérieur pour « non-assistance à personne en péril » et « non-empêchemen­t de crime ». Ces deux procédures devront établir les responsabi­lités de chacun dans ce qui reste une tragédie nationale. L’assassinat de Samuel Paty résume tous les maux qui rongent notre société : le communauta­risme, l’islamisme sans gêne qui prospère dans le « pas-de-vaguisme », la lâcheté et la fuite des responsabi­lités. Ce premier procès et le second – s’ils arrivent à terme – doivent être l’occasion de tout mettre à plat. La catharsis doit permettre de donner un sens à la mort de Samuel Paty. Car aujourd’hui, au collège du Bois d’Aulne, rien ne signale le drame qui s’est passé le 16 octobre 2020. Son buste en bronze qui devait lui être dédié est resté dans un entrepôt par crainte de raviver les blessures, des enseignant­s sont toujours menacés partout en France, une majorité des profs s’autocensur­e pour éviter les ennuis et beaucoup pensent quitter leur job, à l’image de certains des collègues de Samuel Paty. Ils pensent qu’on n’a pas tiré les leçons de son assassinat et ils ont raison. ■

La DGSI et les renseignem­ents territoria­ux n’ont rien vu venir

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Emmanuel Macron ému face au cercueil du professeur assassiné, dans la cour de la Sorbonne.
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La passion de l’enseigneme­nt est héréditair­e chez les Paty.
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Le tueur et sa famille habitaient à La Madeleine, à Évreux.
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La police a trouvé le corps de Samuel Paty sur la chaussée, sa tête posée à côté de lui.
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au collège.
Jean Castex et Jean-Michel Blanquer ont accompagné Emmanuel Macron au collège.

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