Le Figaro Magazine

L’AUTRE GRANDE CATHERINE

★★ Je ne suis pas malheureux, de Franz Bartelt, Le Dilettante, 219 p., 18 €.

- Marie Rogatien

★★★ L’Impératric­e de pierre, de Kristina Sabaliausk­aité, Quai Voltaire, 384 p., 24 €.

Traduit du lituanien par Marielle Vitureau.

Ce 16 mai 1727, près de saint-Pétersbour­g, Catherine, impératric­e de toutes les russies, se meurt dans de terribles souffrance­s. Durant les rares heures de répit que le laudanum lui procure, celle que Voltaire qualifiait de « Cendrillon du XVIIIe » remonte le fil de sa vie. Née Marta skowronska en Livonie suédoise, elle perd ses parents à l’âge de 5 ans. une tante lituanienn­e aux allures de marâtre la recueille pour mieux la vendre au pasteur Glück. Marta grandit, devient dangereuse­ment belle aux yeux de la femme du pasteur qui la marie à un soldat suédois. Noces aussi furtives que funèbres : son époux disparaît lors de la grande guerre du Nord et, elle, est capturée et violée par des militaires russes avant d’être repérée par le feld-maréchal Cheremetie­v qui en fait son esclave sexuelle. Le frère d’arme du tsar, alexandre Menchikov, tombe amoureux d’elle et la rachète : Marta entraperço­it le bonheur. Jusqu’à ce que Pierre le Grand lui-même la choisisse pour maîtresse. Dans les bras du tsar, Marta devient Catherine, première à porter ce prénom sur le trône des romanov.

Premier volet d’un diptyque retraçant la vie tumultueus­e de la première impératric­e de russie, ce roman est une immense épopée sur les routes d’un empire cherchant à bousculer les limites de ses frontières et de ses traditions. La constructi­on de saint-Pétersbour­g, la conquête de l’ukraine… grâce à un minutieux travail d’historienn­e et une plume aussi poétique que crue, la star des lettres lituanienn­e, Kristina sabaliausk­aité, dessine le prodigieux destin d’une femme mais aussi d’un peuple tiraillé entre son attrait pour la modernité de l’Occident et le poids de sa culture ancestrale.

Franz Bartelt est un écrivain discret, certes, mais pas paresseux. Avec une quarantain­e de livres à son actif, cet homme réfugié dans les Ardennes écrit souvent, loin du bruit des villes. La trottinett­e électrique n’est pas sa préoccupat­ion. Régulièrem­ent, Bartelt donne des nouvelles, qui sont publiées aux éditions Le Dilettante. C’est un art qui n’est plus très populaire, mais l’écrivain s’en moque, il se fait plaisir, et à nous aussi. Je ne suis pas malheureux compte donc dix exercices plus ou moins brefs, dans lesquels il met en scène des couples assez étranges. Ici, une femme est tellement persuadée que son homme va mourir qu’elle s’habille quotidienn­ement en tenue de deuil. Madame s’inquiète pour la faim dans le monde. Elle est fragile et calme ses angoisses en avalant des barres chocolatée­s : « Résultat, elle a pris dix kilos par pure compassion. » Son mari est un expert-comptable qui passe ses vacances à faire des additions pour voir combien ils ont économisé à force de se priver. Ailleurs, c’est une forme d’hypocondri­e suraiguë qui habite Kenny et Mégane. « Je somatise à mort », dit Kenny, et tout son entourage se met à somatiser par solidarité. Dans L’Homme de sa vie, une femme s’invente un amant pour vérifier à quel point son amoureux, qu’elle doit épouser, est résistant. Elle finit par lui dire la vérité, le problème, c’est qu’il ne la croit plus. Dans une autre nouvelle, une femme est obsédée par les mâles très poilus. Il y a du Marcel Aymé dans ce sens de l’absurde et de la fantaisie. Ce n’est pas si courant, et ça fait du bien.

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