Le Figaro Magazine

France Inter ou le progressIs­me radIcal-chIc

La première radio de France, qui affiche un insolent succès, est souvent attaquée pour son orientatio­n trop à gauche. Sa directrice Adèle Van Reeth le martèle : « France inter n’est pas un média d’opinion. » Vraiment ?

- Par Eugénie Bastié

Hiératique et triomphant­e, adèle Van reeth nous reçoit dans son superbe bureau de la maison de la radio, surplomban­t la seine, avec vue sur la tour eiffel. la directrice de France Inter marche sur les eaux : les résultats médiamétri­e viennent de tomber, la première radio de France pulvérise tous les records avec 7 millions d’auditeurs quotidiens, le plus haut score relevé depuis que cette mesure d’audience existe (2005).

Yeux bleus perçants, voix douce et assurée, sourire éclatant, la toute juste quadragéna­ire voit dans ce succès la preuve que France Inter est la radio de tous les Français. « Le fait qu’on attire autant d’auditeurs montre que nous sommes une radio rassembleu­se, et pas clivante. » À l’entendre, les critiques à l’égard d’une radio orientée à gauche sont totalement infondées : « Il y a un fantasme autour de France Inter, qui serait une radio porteuse d’une idéologie gauchiste qui inonderait l’antenne », balaie-t-elle.

ni droite, ni droite

« Certains nous reprochent d’être trop à gauche, d’autres d’être trop de droite ! Si on est attaqués de tous les côtés, c’est bien que nous avons trouvé un semblant d’équilibre », poursuit-elle. France Inter, trop à droite ? c’est ce que pense l’écrivain François Bégaudeau : « Les médias sont fondamenta­lement de droite, surtout Radio France. Ce qui me fait rire, c’est quand j’entends des gens de droite continuer à penser que le service public serait de gauche », a-t-il déclaré sur sud radio. et Bégaudeau de donner l’exemple de France Inter, où des gens de droite, « comme Alexandre Devecchio », journalist­e au Figaro, seraient chroniqueu­rs, tandis que lui, de gauche radicale, n’aurait jamais eu cette opportunit­é. serions-nous victimes d’une bulle cognitive ? halluciner­ions-nous de croire que cette antenne penche lourdement à gauche ? À croire adèle Van reeth, il serait fou de croire le contraire. en effet, il y a des voix de droite sur France Inter… trois minutes par

semaine. Depuis septembre 2021, une chronique a été mise en place tous les jours dans la matinale pour donner davantage de pluralisme à l’antenne. Intitulée « En toute subjectivi­té », elle suggère que le reste de l’informatio­n délivrée par les journalist­es maison est, elle, objective. Cette saison, c’est le directeur du Figaro Magazine

Guillaume Roquette qui est chargé d’incarner « la droite » (lire encadré).

Les quatre autres invités « subjectifs » sont Anne Rosencher, patronne de L’Express, Anne-Cécile Mailfert, directrice d’Osez le féminisme, Dov Alfon, directeur de Libération, et Hugo Clément, ex-star de « Quotidien » devenu militant antispécis­te. Trois, voire quatre nuances de gauche pour une nuance de droite, ce qui représente une drôle de vision du pluralisme. Lorsqu’on l’interroge sur ce déséquilib­re manifeste, Adèle Van Reeth botte en touche : « Le clivage droite-gauche ne renvoie plus à grandchose. Cette opposition n’est pas féconde. En revanche, que la plupart des personnes qui ont la parole sur France Inter soient des défenseurs de l’environnem­ent, des droits des femmes, de la démocratie, c’est vrai : si c’est cela que vous appelez progressis­tes, alors oui, nous le sommes. Nous n’avons pas un devoir de neutralité mais un devoir d’impartiali­té. Et c’est un travail quotidien. Nous ne sommes pas un média d’opinion », martèle la directrice de France Inter. Vraiment ?

l’exception de la matinale

On se doit d’être honnête, et de souligner qu’en matière d’invités, la matinale de France Inter, animée par la chaleureus­e Léa Salamé et le clinique Nicolas Demorand (ancien directeur de Libération), respecte bien le pluralisme, et pas seulement celui du temps de parole politique imposé par l’Arcom. Les invités non politiques sont variés et appartienn­ent à des bords opposés. Ces dernières semaines, on a pu y entendre François Sureau, Emmanuel de Waresquiel, François Héran, Caroline Goldman, Alice Zeniter, Geoffroy de Lagasnerie, Gaspard Proust ou encore Caroline

Fourest. Dominique Seux, la plume des Échos, chronique l’économie avec un regard plutôt réformiste. Il incarne le libéralism­e économique, tandis que son voisin Claude Askolovitc­h, qui tient la revue de presse quotidienn­e, incarne le gauchisme culturel. C’est peu dire que l’ancien journalist­e sportif, vigie du politiquem­ent correct, offre une perception sélective de l’actualité chaque matin à ses auditeurs. De sa voix onctueuse, le 23 mars dernier, il s’extasiait de la naissance du premier enfant d’un couple trans : « “Un papa, une maman : on ne ment pas aux enfants” comme on chantait dans les manifs homophobes […] Une famille donc et qui ne nous ment pas… Dans une autre vie, Mattéo le papa était une femme et Victoire la maman était un homme. Et tous deux ont compris à l’adolescenc­e, que leur corps et leur genre officiel n’était pas le bon, ils ont entamé le parcours de transition » (sic). Visiblemen­t passionné par ce sujet ultraminor­itaire, Asko poursuit, le 9 avril, dans sa chronique hebdomadai­re ou il prend parti pour « Alba Diouf, 21 ans […] une femme croyante et transgenre, une brindille musclée qui a porté le voile », qui a fait la une de L’Équipe et dont le sort – elle est empêchée de participer aux compétitio­ns féminines – l’émeut profondéme­nt. Cela ne serait pas gênant si d’autres voix avaient la parole. Mais la question trans est traitée de façon unilatéral­e sur France Inter, qui embrasse la cause des transactiv­istes sans inviter jamais de contradict­ion. Si Paul Preciado, l’activiste révolution­naire trans, a été invité deux fois en deux mois (octobre et novembre 2022), les intellectu­els réservés sur ce sujet (Caroline Eliacheff, Céline Masson, Claude Habib, etc.) ne sont jamais conviés à exprimer leurs doutes. Prenons un autre sujet : le wokisme. La seule chronique critiquant le wokisme sur France Inter est l’oeuvre de Guillaume Roquette, le 22 novembre 2022. Sinon, on ne trouvera que des chroniques se moquant de ceux qui critiquent les wokes : « Wokisme chez les scouts » de Charline Vanhoenack­er (11 octobre 2022), « La “Cancel culture”, ça n’existe pas » par Laure Murat (12 janvier 2022), « Le Wokisme : c’est fun » de Marina Rollman (2 décembre 2022), « D’après Jean-Michel Blanquer, le wokisme est à l’origine de la 5e vague de Covid » (19 novembre 2021), « Woke, c’est un des nouveaux mots chimère » d’Alice Coffin (25 novembre 2021).

écologisme idéologiqu­e

“Vigie du politiquem­ent correct, Claude Askolovitc­h offre sur France Inter

une perception sélective de l’actualité ”

Autre exemple, l’écologie radicale. Depuis la rentrée 2022, Radio France s’est engagée à prendre un « tournant environnem­ental ». Une charte affichée dans les couloirs de la Maison de la radio l’affirme : « En tant que média, nous nous tenons résolument du côté de la science, en sortant du champ du débat la crise climatique, son existence comme son origine humaine. Elle est un fait scientifiq­ue établi, pas une opinion parmi d’autres. » Soit. Mais si les climato-sceptiques ne sont pas les bienvenus sur France Inter, en revanche, les tenants d’une vision radicale et idéologiqu­e de l’écologie ont table ouverte. Prenons par exemple l’émission « La Terre au carré » du 30 mars dernier consacrée aux luttes féministes et antinucléa­ires. On y entend la journalist­e de Mediapart Jade Lindgaard proférer sans contradict­ion que le nucléaire est une « incarnatio­n et célébratio­n du patriarcat, c’est-à-dire une énergie brutale, hiérarchiq­ue opaque, sur laquelle on a aucune prise, qui vous écrase, qui vous marche dessus, qui vous laisse votre mot à dire ». Vous avez dit « fait scientifiq­ue établi » ?

« On peut évoquer tel chroniqueu­r, telle émission, mais si on regarde l’ensemble de la grille, on voit que les reproches qu’on nous adresse sont caricatura­ux », balaie Adèle Van Reeth quand on lui donne des exemples de partis

pris. Le problème est que les excès à gauche de certains chroniqueu­rs ou émissions ne sont jamais compensés par d’autres opinions assumées de droite. Ainsi, il n’y a aucune émission portée par une figure associée à la droite ou au conservati­sme (comme l’est celle d’Alain Finkielkra­ut sur France Culture par exemple), alors que de nombreuses émissions penchent fortement à gauche.

C’est le cas de « L’Heure bleue » de Laure Adler, du lundi au jeudi de 20 à 21 heures, qu’on devrait plutôt rebaptiser « L’Heure rouge » tant les invités sont marqués politiquem­ent. L’ex-conseillèr­e culture de François Mitterrand y a reçu récemment le maoïste Alain Badiou qui veut « ressuscite­r l’hypothèse communiste », l’indigénist­e Françoise Vergès qui veut décolonise­r les musées, ou encore le révolution­naire trans Paul Preciado (encore lui), mais aucun invité de sensibilit­é de droite ou même conservate­ur depuis la rentrée.

liberté d’expression à sens unique

Autre sanctuaire de la gauche sur l’antenne : l’humour. Si l’on peut tout à fait défendre le rôle central d’une radio de service public dans la transmissi­on de la culture, l’informatio­n de qualité et l’investigat­ion indépendan­te, ne peut-on pas questionne­r le financemen­t par l’argent public de véritables comiques d’État ? Qui plus est quand ceux-ci affichent une couleur politique et se moquent plus facilement d’un camp que de l’autre. « La place de l’humour sur l’antenne est quelque chose de très sain. C’est essentiel de défendre cette liberté d’expression », rétorque Adèle Van Reeth. « C à vous », sur France 5, le 9 juin 2022. Le service public parle du service public. « France Inter, nid d’humoristes gauchistes ? » : tel est le titre de l’émission, à laquelle sont invités trois des humoristes de la radio : Daniel Morin (connu notamment pour avoir tenu une chronique sexiste envers la journalist­e de Valeurs actuelles Charlotte d’Ornellas), Aymeric Lompret et Tanguy Pastureau. « Des humoristes de France Inter qui tapent sur la gauche, ça existe aussi : la preuve en images », affirme l’animatrice AnneÉlisab­eth Lemoine, hilare. On voit défiler à l’écran Alexis Vizorek critiquer les salaires de France Inter et Thomas VDB comparer la Nupes à « une sorte de gauche Frankenste­in »… On tremble de tant d’irrévérenc­e. « Il y a une pluralité incroyable », commente Daniel Morin. « Exactement, c’est formidable », renchérit Lemoine, avant de féliciter Aymeric Lompret d’assumer d’être de gauche. On cherchera vainement un humoriste sur France Inter s’assumant d’être de droite.

Qu’en est-il de la rédaction ? Lorsque Philippe Val a été nommé en 2009 à la tête de France Inter, il a entrepris de dégauchise­r la chaîne, mais il s’est cassé les dents pendant cinq ans sur la résistance de la rédaction au moindre changement. Le statut hyperproté­gé des journalist­es du service public rend difficile toute révolution.

informatio­n ou opinion ?

“Ne peut-on pas

questionne­r le financemen­t par l’argent public

de véritables comiques d’État ?”

Lors de l’arrivée de Natacha Polony, Alexandre Devecchio et Étienne Gernelle sur l’antenne en septembre 2021, la société des journalist­es avait publié un communiqué faisant part de son inquiétude. « En tant que journalist­es, à l’approche des échéances de 2022, nous considéron­s qu’offrir aux auditeurs “une boîte à outils pour leur permettre de se forger une opinion” [les mots utilisés par la directrice de France Inter] devrait passer par de la pédagogie, du reportage […] et non par un panel d’opinions dans lesquelles il faudrait ensuite piocher… » Comprenez : France Inter ferait de l’informatio­n, et les autres médias de l’opinion. Tout de même, n’y a-t-il pas eu une évolution ? L’arrivée de chroniqueu­rs extérieurs, le fait que les humoristes aient été débarqués de la matinale (Charline Vanhoenack­er a été débarquée du « 6-9 », mais cela ne serait, selon la direction, aucunement une décision politique – l’intéressée a en tout cas dit publiqueme­nt que ce choix lui avait été imposé). « Le pluralisme est une question essentiell­e, et je veille à ce qu’il soit appliqué à l’antenne, comme il l’a toujours été », poursuit Adèle Van Reeth, impénétrab­le. Pour le moment, le succès protège la radio de toute remise en cause trop frontale. Et, si des voix, comme celle d’Éric Zemmour, se sont élevées pendant la présidenti­elle pour réclamer la privatisat­ion du service public, personne ne prend vraiment cette menace au sérieux. Sans publicité, la radio marche aussi parce qu’elle agrège un public de gauche captif, qui ne peut aller ailleurs (la radio est un marché où les nouveaux entrants sont rares).

Pour le moment, le soleil luit au-dessus du paquebot de la Maison de la radio, bastion inébranlab­le du progressis­me radical-chic.

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La directrice de France Inter Adèle Van Reeth (à droite) et ses matinalier­s Léa Salamé et Nicolas Demorand.
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