STARAH BERNHARDT
Une remarquable exposition au petit Palais, à Paris, ressuscite la comédienne qui fut la première vedette du monde artistique à accéder au statut de « star » en France.
Confusément, les plus jeunes l’assimilent à une bête de scène, hésitant quand même entre la tragédienne et une cantatrice. Les moins démunis hasarderaient qu’elle finit sur une jambe. Mais combien sont-ils à se souvenir que le Théâtre de la Ville, à Paris, fut longtemps le Théâtre Sarah-Bernhardt ? Le théâtre de Sarah Bernhardt. Car elle ne fut pas seulement la « Divine », « géniale à la demande », selon le mot de Guitry, car capable de couvrir tous les registres, de passer à loisir de l’un à l’autre, des sanglots au rire de gorge, en un irrésistible crescendo, l’absolue « voix d’or » que lui trouvait Victor Hugo. Elle se révéla encore une redoutable femme d’affaires, doublée d’une programmatrice éclairée, triplée d’une débrouilleuse en coulisses, tantôt machiniste, tantôt décoratrice.
La meneuse ne faisait jamais relâche. Elle s’essaya à la peinture et imposa ses sculptures au Salon. Ses Algues en bronze témoignent d’incontestables dons, comme le portrait mortuaire qu’elle cisela de son mari. On reste pantois devant l’infinité de ses talents… et de ses excentricités. Un rien morbide, elle couchait dans un cercueil parce qu’elle laissait son lit à sa soeur malade, et offrit des funérailles à son alligator, mort d’avoir siroté trop de champagne. Son intérieur pouvait asphyxier à force de tentures voluptueuses et d’ostensoirs accablés de bibelots exotiques. On s’y pressait cependant. Et l’air s’y raréfiait pour de bon quand, souple, mince, liane pour tout dire, la Divine se gainait d’époustouflants déshabillés aux froufrous desquels ses amants artistes s’arrachaient les yeux. Les amants, les maîtresses, elle les collectionnait, comme le reste, et les enchaînait au char de son triomphe : des peintres – Gustave Doré, Georges Clairin, Louise Abbéma –, des acteurs comme Mounet-Sully, des hommes de lettres, bien entendu, dont Lucien Guitry ou, plus étonnamment, Pierre Loti – elle revendiquerait même une idylle platonique avec Robert de Montesquiou, lui-même plutôt prude et résolument inverti… Le monde la révérait. Elle se donnait à lui, première à se plier à d’interminables séances d’autographes, posant inlassablement et monnayant son image magique pour des maisons de champagne ou de très roturières conserveries (ainsi parut-elle sur une affiche vantant la marque Saupiquet, entre Aristide Bruant et le polémiste Henri Rochefort). Joueuse, néanmoins. Ce qu’elle prisait par-dessus tout, c’étaient les rôles travestis. Presque tous les auteurs du Paris Belle Époque lui en taillèrent sur mesure, Jean Richepin (Pierrot assassin) ou Edmond Rostand et son impérissable Aiglon. Rostand qui laissa d’elle le portrait le plus vif : sans en taire les manies ni les brusques éclipses, il concluait sur cette vertu qui l’avait construite tout entière, l’ardeur au travail.
PLUS QU’UNE HÉROÏNE
La chatoyante exposition du Petit Palais aurait pu, à l’occasion du centenaire de sa mort, résumer la tragédienne à sa fulgurante carrière, costumes et éléments de décors à l’appui. Les affiches d’Alfons Mucha l’auraient figée dans ses plus grands rôles, de Théodora à la Dame aux camélias. Qu’aurait-elle disséqué, alors, cette galerie de masques ? Un prodige. Or, Sarah Bernhardt fut plus que cela. Plus même qu’une héroïne. Un « monstre sacré » – le titre lui fut décerné tout exprès par Cocteau. Un guide immanent, même, et notamment lorsque, amputée de frais, souffrant encore, elle se fit porter en chaise sur le front, pour soutenir le moral des poilus. Alors courez ! L’exposition ne célèbre pas un génie des planches, elle ressuscite, littéralement, un trésor national.