LA STRATÉGIE DU SILENCE
Pendant la guerre, le pape Pie XII s’est parfois tu alors que nous aimerions qu’il ait parlé. Il a pourtant réagi aux drames de l’époque.
En 1958, à la mort de Pie Xii, le pape disparu était unanimement salué dans le monde, tout spécialement par les Juifs : « Nous pleurons un grand serviteur de la paix », proclamait Golda Meir, ministre des affaires étrangères d’israël. en 1963, la pièce de l’allemand rolf Hochhuth, Le Vicaire, qui mettait en scène un Pie Xii indifférent au sort des Juifs et qui aurait donc failli à sa mission pendant la guerre, devait brouiller l’image du pape. en 1999, le livre accusatoire de John Cornwell, Le Pape et Hitler (dont le titre original, en anglais, était Hitler’s Pope, accusations que l’auteur regrettera quelques années plus tard), puis en 2002 le film de Costa-Gavras adapté du Vicaire, Amen, s’inscrivaient dans la même perspective à charge. Depuis vingt ans, en sens inverse, on ne compte plus les ouvrages dont les signataires, sans verser dans l’hagiographie, plaident en défense de Pie Xii. Citons, outre le défunt Père blet dont le livre sur les archives du Vatican était de 1997, Philippe Chenaux (2003), Giovanni Miccoli (2005), Hubert Wolf (2008), andrea tornielli (2009), Gordon thomas (2014), Mark riebling (2016), Johan ickx (2020). andrea riccardi, qui a été professeur d’histoire dans plusieurs universités d’italie et qui est une personnalité politique et religieuse dans son pays, avait déjà étudié le sort des Juifs de rome en 1943-1944 et l’action du pape en leur faveur (L’Hiver le plus long, DDb, 2017). Cet historien italien revient sur le cas Pie Xii, mais en interrogeant surtout les silences observés par celui-ci, non seulement au sujet de la persécution des Juifs, mais aussi, par exemple, vis-à-vis de la Pologne écrasée par les allemands en 1939. Pourquoi cette stratégie ? Que savait le pape à chaque fois ? Quelle était la part, dans son comportement, de la priorité accordée au travail diplomatique et à l’action discrète sur le terrain, et du tempérament du souverain pontife ? un vieil antijudaïsme religieux présent, non chez Pie Xii lui-même mais résiduel dans certains cercles de la Curie, a-t-il influé ? andrea riccardi creuse toutes ces questions en rappelant néanmoins l’aversion profonde de Pie Xii envers le nazisme, et en soulignant l’anachronisme qui consiste à juger ce pontife avec les critères d’aujourd’hui, alors que la conception prophétique de la papauté issue de Vatican ii, puis le personnage universel de Jean-Paul ii ont modifié notre regard sur la fonction du chef de l’Église.