Le Figaro Magazine

VÉRITÉS SANS LÉGENDES SUR LE MOYEN ÂGE

★★★ Dix idées reçues sur le Moyen Âge, de Martin Aurell, JC Lattès, 213 p., 21,50 €.

- Marie Rogatien

Des images d’une violence extrême ? Un village perturbé par des coupures d’eau et d’électricit­é volontaire­s ? Le témoignage d’une victime d’injustice ou d’abus de pouvoir ? À chaque fois, la même conclusion tombe invariable­ment, telle la lame du bourreau : il s’agit d’un acte « moyenâgeux », d’une situation « moyenâgeus­e ». À croire qu’entre le Ve et le XVe siècle, l’Europe aurait vécu un long cauchemar, où auraient régné en maîtresses absolues la noirceur, la misère sociale et intellectu­elle, et la barbarie. Le brillant médiéviste Martin Aurell (La Légende du roi Arthur, Aliénor d’Aquitaine, Excalibur, Durendal, Joyeuse : la force de l’épée, etc.) en a eu ras le heaume ! Dans un essai revigorant et salutaire, il enfile la robe de l’avocat et démonte avec érudition et simplicité tous les poncifs véhiculés depuis la Renaissanc­e. Il remet les idées de chacun en place et l’église au milieu du village en soulignant par exemple que les femmes avaient alors bien plus de droits, de libertés et de pouvoirs qu’au XIXe siècle, et que la prétendue ignorance crasse des Européens de cette période se heurte au legs d’un immense patrimoine littéraire (inventions de l’alexandrin et de la rime !) et de nombreuses innovation­s techniques (maîtrise de la force hydrauliqu­e, constructi­on des polders, lunettes contre la presbytie, diffusion du papier… ).

Au Moyen Âge, on reproche aussi son mode de gouvernanc­e : des seigneurs, des rois et d’autres puissants pratiquant un exercice excessif du pouvoir. Mais n’ont-ils pas contribué à la disparitio­n de l’esclavage rural et organisé les villes en communes libres ? Et n’est-ce pas durant le « Dark Age » que l’art gothique a fait entrer la lumière dans les églises grâce à des trouvaille­s architectu­rales ? Quant au procès permanent en fanatisme religieux qu’illustrera­ient l’Inquisitio­n et ses bûchers, faut-il rappeler que ceux-ci furent bien plus nombreux… à la Renaissanc­e ? Sans tomber dans le naïf ou le malhonnête travers inverse qui ferait de ce millénaire un paradis perdu où tout n’aurait été que joie de vivre, progrès social et tolérance à tous les étages, Martin Aurell expose des faits, des chiffres, des réalités. La vérité scientifiq­ue. Qui n’est ni sombre ni lumineuse.

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