Le Figaro Magazine

HENRI RACZYMOW, LE MINI-PROUST DU LUXEMBOURG

Henri Raczymow est toujours à la recherche de la littératur­e perdue.

- LE LIVRE DE FRÉDÉRIC BEIGBEDER L’Arrière-saison des lucioles, d’Henri Raczymow, L’Antilope, 187 p., 19,90 €.

Pourquoi j’aime tant raczymow ? Dans L’Arrière-Saison des lucioles, il se nomme rosenblum. Ce vieux juif ratiocine et se lamente. il déplore la mort d’un certain milieu intellectu­el qu’il fréquenta jadis, autour du « Chemin », collection dirigée par Georges Lambrichs. avec Francis Ponge, le courant n’est pas passé. il préférait réda, Deguy, Chaillou, Quignard, Weyergans. Or, raczymow est un genre de nouveau Weyergans, avec son goût pour la digression érudite, mais aussi de Philip roth français. Dans ses livres, roth aussi porte un autre nom : Zuckerman. rosenblum se prend la tête et râle car personne ne le lit. C’est un « juif profession­nel » (l’expression, très comique, est de Luc rosenzweig). toute l’oeuvre de raczymow est consacrée à des juifs compliqués : Proust, sachs, berl… mais comme l’auteur de Portnoy, il est surtout émoustillé par les étudiantes qu’il croise à l’arrêt d’autobus. N’étant pas à New York, rosenblum déambule au jardin du Luxembourg, au milieu des élèves du lycée Montaigne, entre la pissotière et les joueurs de pétanque. C’est le lieu de mon adolescenc­e perdue. Quand je lis raczymow, je revois mon passé et je suis heureux d’être si triste. il voit une plaque sur l’immeuble où vécut richard Wright, au 14 rue Monsieur-le-Prince. J’ai habité au 22, quand ma mère a quitté mon père. L’ambiance n’était pas au beau fixe. Nous faisions tous semblant d’aller bien. J’ai l’impression d’avoir passé mon enfance à me forcer à sourire, comme je le fais encore, aujourd’hui, sur les plateaux de télévision. Lire raczymow, c’est se promener en compagnie d’un homme intelligen­t, drôle, cultivé, en comparant nos deux vies. Par exemple, je suis catholique et lui ne va jamais au Flore. Cela ne m’empêche pas de comprendre son itinéraire : passé du communisme au judaïsme, de l’utopie à l’identité. La seule différence entre les juifs et les catholique­s, c’est que les seconds n’attendent plus le Messie. Les juifs sont plus patients, voilà tout. un peu plus loin, le voilà rue Guynemer, où j’ai vécu aussi, le temps d’un mariage raté. il cite une phrase que j’avais oubliée, « le programme en cinémascop­e » de sartre dans Les mots : « Devenir une obsession pour l’espèce, être autre enfin, autre que moi, autre que les autres, autre que tout. »

une étude est sortie cette semaine : 20 % des jeunes n’ouvrent jamais un livre. ils ne sauront jamais la joie que l’on ressent quand on se reconnaît, par hasard, dans les souvenirs d’un autre. Ne jamais ouvrir un livre est une grave erreur ; c’est manquer de curiosité envers soi-même.

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