PAROLES D’ACTIVISTES ET DE REPENTIS
Ils sont ou ont été militants d’extrême gauche, ils sont passés par les groupuscules « antifas » ou black blocs et racontent leur rapport à la violence.
Je viens de la gauche radicale. La violence, tant qu’elle n’est pas inutile, ne me gêne pas. » Communiste revendiqué, il a cette gouaille héritée des milieux populaires dans lesquels il a grandi et évolué, mais aussi le verbe franc de celui qui a forgé sa détermination dans l’engagement politique sur le terrain. Et même s’il réfute le terme, Manuel * est un militant d’extrême gauche, acquis à cette cause depuis toujours. Activiste, syndicaliste et aujourd’hui cadre au sein du parti de La France insoumise, il a dirigé plusieurs campagnes électorales et se dit écoeuré des dérives dont il est le témoin.
Ne pas critiquer la violeNce
Convaincu de la légitimité de la cause pour laquelle il se bat, il se refuse encore à quitter le mouvement. Mais se montre, en secret, très critique sur le sujet des violences, notamment lors des dernières manifestations que Jean-Luc Mélenchon et ses insoumis refusent de condamner clairement en usant et abusant d’un discours quelque peu ambigu. « Je ne suis pas un enfant de choeur, affirme volontiers Manuel. Je suis même capable de faire de vraies saloperies. Je considère que, dans la lutte, on peut être amené à être dur. On peut séquestrer un chef d’entreprise. Mais on ne le touche pas et on ne lui arrache pas sa chemise ». « De la même façon, poursuit-il, on peut protester contre un projet de loi ou dénoncer le capitalisme, mais je condamne les incendies d’abribus, de biens publics, ou la violence contre les forces de l’ordre. Car ce n’est pas un projet politique. Ces méthodes viennent des black blocs qui,
dorénavant, se fondent complètement dans nos manifestations. Je n’aurais jamais cru ça possible, mais je suis d’accord, au moins sur un point, avec Gérald Darmanin lorsqu’il emploie l’expression de “black bourges” pour parler des black blocs, c’est tout à fait vrai. »
Black bourge, un qualificatif qui pourrait correspondre au profil de Maxime, ancien militant black bloc. Repenti et retiré du jet de projectiles contre les forces de l’ordre, le jeune homme, âgé d’une vingtaine d’années, s’est exprimé à plusieurs reprises sur son parcours, notamment dans une interview donnée au magazine
L’Incorrect. « Le cliché de l’enfant blanc et bourgeois est une réalité »,
confie-t-il dans une vidéo, en précisant que son père est chef d’entreprise. Visage dissimulé, il assume son milieu d’origine aisé autant que son passé sulfureux et se réjouit de son
« retour à la réalité ». Scolarisé dans des établissements privés du nord de Paris, Maxime a fait ses premières armes au contact de l’extrême gauche, très présente et très active au sein du lycée public jouxtant le sien. Il participe alors à ses premières assemblées générales.
“LE MONOPOLE DU COEUR”
“Black bloc, c’est une mentalité
mais pas une organisation”
Durant la période de contestation de la loi travail, il contribue au blocage des établissements scolaires avec des poubelles et s’introduit dans le milieu des black blocs assez facilement lors des manifestations en adoptant leur code vestimentaire et le mode d’action violent. « Tu es face à des CRS, avec leurs casques, leurs matraques, leurs boucliers et tu es avec 50 autres gars tous habillés comme toi, prêts à en découdre si les CRS foncent dans le tas. (…) Black bloc, c’est une mentalité. Pas une organisation. » Cependant, l’ancien activiste raconte comment la version digitale de The Anarchist Cookbook circulait largement dans ce milieu pour permettre à chacun d’apprendre les rudiments de la défense et de l’attaque. Très critique sur son passé, Maxime évoque un engagement politique contre des textes de loi qu’il n’a pas pris le temps de lire. « La politisation dans un monde de gauche, ce n’est pas complexe. On est dans le pathos. Tout le monde pense pareil. On est pour le bien. » Et il se souvient : « Cela justifiait la brique sur la tête du CRS, le Molotov. Ça justifiait tout. Tout est justifiable pour l’idée du bien. »
« Le camp des gentils », longtemps Malik * y a cru, avant de se retrouver face à la « violence » et « l’intolérance » de ses camarades. Aujourd’hui, il se moque d’ailleurs bien volontiers de la formule. Issu de l’immigration et récemment naturalisé, ce jeune père de famille a voulu marquer son attachement à la France en s’engageant politiquement à gauche, très à gauche, au sein d’une équipe LFI dans une ville de la banlieue parisienne. « Je pensais naïvement que l’action politique devait servir pour la communauté mais, au sein de cet environnement, je n’ai découvert, dans ce giron qui allait de la gauche aux écologistes, que du cynisme et des gens qui oeuvrent pour leurs seuls intérêts. Surtout, ils portent des discours pour défendre les “opprimés” et se présentent comme les pourfendeurs du racisme, mais ils nous traitaient, moi et certains camarades basanés, comme leurs Arabes de service. Un jour, j’ai surpris une conversation concernant les affichages de nuit. Ils disaient : “On va laisser faire les Arabes. Ils savent bien faire et, en cas d’embrouille, ils régleront ça entre eux.”»
Malik, qui se dit profondément respectueux des valeurs républicaines, peine, lors des réunions avec les militants, à cacher ses désaccords sur le sujet des violences policières, mais aussi de celles perpétrées, notamment par les black blocs, lors des manifestations qui, selon lui, sont trop souvent justifiées par les militants de l’extrême gauche. « Si on résiste à leurs idées ou que l’on pense différemment, ils mettent la pression. On m’a, par exemple, expliqué que je devais me rendre à un rassemblement avec le comité Adama. L’argument étant que la police est raciste, qu’elle tue et que, demain, je pourrais être le prochain. Je suis arabe et je n’ai jamais eu de problème avec la police. Si je dois me soumettre à un contrôle, comme cela m’est déjà arrivé, j’obtempère et tout se passe bien. » Dès lors, Malik questionne, contredit la ligne décidée par les cadres sur certains sujets et se retrouve isolé. « Lors des dernières élections municipales, entre les deux tours, j’ai voulu prendre mes distances et j’ai reçu un appel. Durant deux heures et neuf minutes exactement, j’ai subi des menaces à peine voilées. Mon interlocuteur me disait : “On sait où tu habites. […] Penses à la sécurité de ta femme et de tes enfants. […] Tu risques ta vie.” » Écoeuré, Malik ne renie pas pour autant ses valeurs de gauche, mais il a tiré un trait sur la politique.
PROJET POLITIQUE VIOLENT
Dans le milieu de l’extrême gauche, les antifas se font aussi remarquer, lors des manifestations, par la violence de leurs actions, tout comme les black blocs. L’un d’eux, Riyad, expliquait, dans une interview donnée à nos confrères de Causeur, leur mode d’action qui va « du collage de stickers au tabassage de syndicalistes ». Pour eux, « la fin justifie les moyens. Mes camarades n’avaient aucun problème avec la violence. Sur la réforme des retraites, ils expliquent qu’elle est certes illégale mais légitime. C’est-à-dire autorisée. Les « antifas » sont ravis de la médiatisation des affrontements de rue car cela permet de mettre en lumière leur combat. » ■
* Les prénoms ont été changés.