NAISSANCE D’UNE NATION
★★★ Le Collectionneur
de serpents, de Jurica Pavicic, Agullo, 192 p., 12,90 €. Traduit du croate par Olivier Lannuzel.
Troisième ouvrage de Jurica Pavicic publié en France, après les romans L’Eau rouge et La Femme du deuxième étage, Le Collectionneur de serpents confirme le talent de l’écrivain croate, mais cette fois dans le registre – trop rare aujourd’hui – de la nouvelle. Les cinq histoires composant le livre dressent le portrait de la Croatie au temps des conflits qui déchirèrent l’ex-Yougoslavie (1991-1995) et durant l’après-guerre. Des jeunes gens ordinaires à peine sortis de l’enfance qui se retrouvent face à trois prisonniers ennemis, un appartement rempli de chapelets qu’il s’agit de vendre, deux frères que la paix a séparés, un « héros national » criminel de guerre rattrapé par la justice : les motifs développés par Pavicic sont aussi simples que percutants.
Loin de récits édifiants à la gloire du nationalisme croate, les nouvelles du Collectionneur de serpents distillent un désenchantement altier. L’époque où tout paraissait simple, où « les bons et les méchants étaient séparés par cinquante mètres de maquis », a laissé place à des regrets et à des ruines. À l’image de maisons abandonnées pour lesquelles on s’était battu : « Quelqu’un, quelque chose les avait autrefois dévastées : la faim ou les gendarmes, une religion ou l’autre, cette guerre ou la précédente. » ailleurs, une tranchée sous un chêne a dû rester intacte, « comme un mémorial d’une guerre lointaine et stupide ». écriture au cordeau, sens de la dramaturgie, chutes laconiques : tout est réussi dans ce très beau recueil.