ILHAM ALIEV Un dictateur qui ne dit pas son nom
Au pouvoir déjà depuis 2004, le président azerbaïdjanais s’apprête à être réélu pour sept ans à la tête d’un pays qu’il tient d’une poigne de fer. Soutenu par la Russie et la Turquie, il n’a pas abandonné ses rêves expansionnistes contre l’Arménie voisine
Les dictateurs ont ceci qu’on ne peut pas leur reprocher : ils disent ce qu’ils font et font ce qu’ils disent. À la tête de l’Azerbaïdjan depuis vingt ans au gré d’élections n’ayant de démocratiques que le nom (presse bâillonnée, propagande quotidienne à l’école, dans les administrations et les médias, opposants emprisonnés, exilés ou morts, etc.), Ilham Aliev avait promis de venger son père, Heydar Aliev, maître local du KGB puis du Parti communiste entre 1967 et 1987, et président de l’Azerbaïdjan postsoviétique. En 1994, défait militairement, celui-ci avait dû abandonner la région arménienne du Haut-Karabakh/Artsakh, rattaché artificiellement à son pays par Staline en 1923. Aliev fils, au prix de trois guerres (2016, 2020 et 2023) et d’un nettoyage ethnique à l’automne dernier, a honoré la promesse faite à papa. Aussi doit-on prendre au sérieux ce satrape aux manières orientales quand il a déclaré il y a quelques années vouloir « chasser les Arméniens comme des chiens » du Caucase du Sud où ils vivent pourtant depuis deux mille cinq cents ans au moins. La rhétorique électorale dont Aliev use depuis qu’il a annoncé la tenue d’une élection présidentielle anticipée pour le 7 février pour surfer sur son succès militaire de septembre dernier est à peine moins agressive. En qualifiant la région la plus méridionale d’Arménie – le Syunik – du nom de « Zanguezour occidental » (donc à rattacher au Zanguezour azerbaïdjanais) et en parlant d’« Azerbaïdjan occidental » à propos du reste de l’Arménie, dont il appelle la capitale du nom turc d’Irevan, l’autoritaire chef de l’État azerbaïdjanais de 62 ans ne semble guère décidé à calmer ses ardeurs impérialistes. Pourquoi s’en priverait-il ? La Russie l’a laissé faire quand il a organisé pendant neuf mois (décembre 2022-septembre 2023) le blocus alimentaire, sanitaire et énergétique des 100 000 civils arméniens d’Artsakh, avant de les jeter sur la route de l’exode ; l’Union européenne a à peine protesté et n’a envisagé aucune sanction contre lui ; et l’ONU a, comme souvent, regardé ailleurs.
La force d’Aliev est d’abord militaire : le budget qu’il consacre à ses armées équivaut au budget national de l’Arménie, trois fois moins peuplée. Mais aussi économique et géopolitique. Grâce aux ressources naturelles exploitées dans la mer Caspienne, il fait trembloter (de froid) l’Europe, qui importe de Bakou près de 5 % de son gaz ; proche de la Turquie (dont le président Erdogan a dit à propos de leurs deux pays : « deux États, une nation »), il profite de la crainte qu’elle suscite chez ses alliés européens de l’Otan, redoutant, s’ils déplaisent au néosultan d’Ankara, que celui-ci laisse les millions de réfugiés sur son sol rejoindre le continent.
violence, corruption et népotisme
D’un point de vue diplomatique, Aliev, qui a su se faire et/ou s’acheter des amis dans les parlements européens, fait toujours illusion. Ses interlocuteurs occidentaux veulent le croire quand il prétend aspirer à la signature d’une paix définitive avec son voisin arménien – comme si ses menaces étaient des plaisanteries de fin de banquet. On feint de ne pas remarquer que celui qui chante la laïcité et la multiconfessionnalité de son pays ordonne des destructions d’églises et de cimetières chrétiens et s’est empressé de faire bâtir une mosquée à Chouchi (Artsakh) après sa conquête en novembre 2020. On oublie combien ce producteur d’hydrocarbures pollue la planète en lui laissant organiser en novembre prochain la COP29. On néglige d’écouter les rares journalistes azéris indépendants ou de lire les enquêtes internationales décrivant le haut niveau de corruption et de népotisme en Azerbaïdjan (il a nommé sa propre femme vice-présidente du pays et son clan familial possède une fortune incommensurable et des biens en Angleterre, à Paris et dans des îles antillaises).
En privé, Emmanuel Macron et même Olaf Scholz assurent considérer comme dangereux Ilham Aliev. Ce qui ne doit guère empêcher de dormir le maître de Bakou, vassal bienheureux de la Turquie et de la Russie. Et qui se sait sûr d’être réélu pour sept ans à la tête de son pays mercredi prochain.