SOMNIFÈRES POUR OU CONTRE ?
Quatre millions de Français souffrent d’insomnies à des degrés divers. Les médicaments sont-ils la solution ? L’arrivée d’un somnifère dernière génération relance le débat.
Apprendre une très mauvaise nouvelle, stresser à l’approche d’un examen ou d’un déménagement… Des situations pour lesquelles il est normal de moins bien dormir pendant plusieurs jours. En revanche, si les troubles du sommeil durent depuis plus de trois mois, au moins trois fois par semaine, avec des difficultés au quotidien – fatigue, manque de concentration, irritabilité, somnolence –, on parle d’insomnies. Il faut alors consulter pour identifier leurs causes. Elles sont nombreuses : certaines maladies comme la dépression, les apnées du sommeil, le syndrome des jambes sans repos… Mais aussi certains médicaments comme la cortisone ou des excitants pris avant de dormir comme le thé, le café ou l’alcool… Ou encore la lumière bleue des tablettes et autres smartphones qui perturbe la production de mélatonine et l’endormissement. Soigner la cause permet le plus souvent de traiter l’insomnie. Parfois, on ne retrouve pas de raison bien identifiée aux insomnies chroniques qui représentent un véritable cauchemar pour ceux dont elles hantent les nuits. De nos jours, les somnifères sont assez décriés et ne sont prescrits, en principe, que sur des périodes courtes : vingthuit jours maximum, pour aider à passer un cap difficile. « Ils ne sont pas prosommeil mais antiéveil : ils procurent une anesthésie légère, font perdre un peu conscience, ce qui empêche de se réveiller dans la nuit », affirme le Dr Patrick Lemoine, psychiatre, docteur en neurosciences et auteur de Docteur, j’ai mal à mon sommeil *. Selon la Haute Autorité de santé, plus d’un quart des plus de 65 ans (près de 40 % des plus de 85 ans) prennent des somnifères au long cours, sept mois en moyenne mais parfois durant des décennies. « Ils provoquent une dépendance inefficace et toxique : inefficace car ils ne guérissent pas les insomnies et toxique car ils entraînent de nombreux effets secondaires », souligne le spécialiste.
DÉPENDANCE INEFFICACE ET TOXIQUE
Un nouveau somnifère (le daridorexant) sera commercialisé en mars 2024 en France. Il apporte une lueur d’espoir avec son mécanisme d’action différent des autres. Cet hypnotique de dernière génération s’attaque à l’orexine, une hormone qui intervient dans le sommeil mais aussi dans le contrôle du poids. « Il bloque les récepteurs des neurones qui fabriquent l’orexine. En cela, il favorise un endormissement plus rapide et augmente le temps de sommeil. Il améliore aussi l’éveil, le jour suivant, ce qui est totalement nouveau pour un somnifère. Dans les études, il n’a pas provoqué plus d’effets secondaires que le placebo », indique le Dr Damien Léger, directeur du Centre du sommeil et de la vigilance à l’HôtelDieu à Paris. L’arrivée de ce nouveau médicament risque de provoquer un raz de marée de prescriptions, ne respectant pas toujours les indications. « Sa mise sur le marché sera encadrée par la Haute Autorité de santé, avec une étude pour savoir qui prend ce médicament et avec quels effets. Je la coordonne et nous allons être très vigilants : il ne s’agit pas de la pilule miracle pour dormir », précise le Pr Léger. Les thérapies comportementales et cognitives restent le « gold standard » pour traiter les insomnies récalcitrantes. Chaque patient bénéficie ainsi d’une thérapie individualisée avec un spécialiste, en fonction de son comportement : revoir les horaires du coucher, l’usage des écrans avant de dormir, l’alimentation, l’exposition à la lumière, la pratique du sport… Un vrai travail pour les insomniaques qui nécessite temps et patience. ■
* Odile Jacob, 2021.