LE TEMPS DE RÉFLEXION RAYMOND ARON L’EUROPÉEN
Les candidats au Parlement européen seraient avisés de lire le recueil de réflexions de Raymond Aron sur l’Europe s’ils souhaitent contribuer à insuffler l’élan et le sens qui manquent à celle-ci. Assemblés de façon inédite, ces textes émanent d’un esprit clairvoyant qui a eu raison sur Sartre, son camarade à Normale sup. Au fil de ses conférences et de chroniques parues notamment dans
Le Figaro entre 1947 et 1983, « Le Professeur » Aron analyse l’après-guerre auprès d’une Allemagne humiliée, l’indispensable quête d’harmonie budgétaire et les errements de sociétés qui ont perdu leur élite traditionnelle avec la guerre. Plus essentiel : il circonscrit ce qui singularise l’identité européenne. En 1947, il écrit : « En bref, [dans le reste du monde, NDLR] ici et là, le grand espace ; ici et là, la frénésie de la production, de la technique, des usines gigantesques ; ici et là, par rapport à l’Europe, une moindre densité du passé vivant, d’expérience intégrée au présent, mais aussi, en compensation de ce moindre raffinement, un vigoureux élan vers l’avenir, la confiance en un futur indéfini et glorieux. » Reçu premier à l’agrégation de philosophie, enseignant à la Sorbonne à partir de 1955, ce penseur libéral, indépendant, a croisé des considérations sociologiques, économiques, philosophiques pour dessiner son espérance pour l’Europe. En 1971, dans une Union à six, Raymond Aron écrivait dans notre journal :
« Les Occidentaux n’ont jamais pu ni voulu empêcher l’Union soviétique d’exercer une influence dominante sur les pays que l’on appelait naguère satellites. Ce qui a contribué à la guerre froide, c’est la manière dont Staline et ses successeurs ont exercé cette influence. » Comment le projet démocratique peut-il subsister face aux empires ? L’auteur de Démocratie et totalitarisme a plongé dans la tourmente de son temps : l’accession de Hitler au pouvoir, Vichy, la guerre froide, le Proche-Orient et le projet européen lui ont inspiré des lignes inaltérables. La remarquable sûreté de son jugement est précieuse à l’heure de marcher (à reculons) vers le Donbass. Raymond Aron a posé sur les peuples un coup d’oeil si vrai que les plaques tectoniques sur lesquelles le monde du XXe siècle s’est posé continuent, sous sa plume, à nous faire vaciller. N’oublions pas que le feu qui habite les esprits indépendants éclaire l’avenir.