SALAIRE DE MISÈRE
Sur Netflix, un remake du « Salaire de la peur » à faire se retourner dans sa tombe Henri-Georges Clouzot.
Cette mission était encore plus impossible que transbahuter des centaines de kilos de nitroglycérine dans un camion sur les routes cahoteuses d’un désert caillouteux : réadapter sur écran (petit, en plus !) Le Salaire de la peur, de Georges Arnaud. Et souffrir que sa version soit comparée à celle de HenriGeorges Clouzot. On voit bien que Julien Leclercq a multiplié les efforts pour éviter ce parallèle en s’éloignant, sur le fond comme sur la forme, du chef-d’oeuvre de 1953 palmé à Cannes, avec Yves Montand, Charles Vanel et Darling Légitimus (la grand-mère de l’Inconnu Pascal, immense artiste de music-hall et actrice de cinéma hélas oubliée).
Le décor n’est plus celui de l’Amérique centrale d’après-guerre mais d’un pays du Moyen-Orient plongé dans le chaos du monde contemporain – et ressemblant furieusement à l’Irak. Il n’y a pas quatre mais deux chauffeurs de camion. Qui sont frères. Le puits de pétrole est devenu gazier et l’éteindre est vital à la fois pour la compagnie qui le gère mais aussi pour des milliers de civils vivant à proximité. Le convoi est sous la menace de « pirates de la route », à mi-chemin entre les dingos de Mad Max et les Bédouins de Lawrence d’Arabie. Le rôle féminin a été considérablement étoffé. La chaleur semble bizarrement bien moindre. Idem pour la tension, quasi inexistante (un comble !). Même l’appât du gain n’est plus le seul moteur narratif du récit. Résultat ? Ceux qui n’ont pas vu le film de Clouzot trouveront de quoi occuper une soirée avec un film d’action et (vaguement) de suspense où le cerveau peut être mis sans danger en mode veille. Le scénario modernisé est truffé d’invraisemblances que tentent de maquiller la musique trop présente d’Éric Serra, des fusillades très nourries et de belles images du Maroc filmé depuis des drones. Les comédiens, en particulier Ana Girardot, héroïque, font ce qu’ils peuvent pour donner du crédit à leurs personnages tracés à traits grossiers et rendre moins grotesques les dialogues à peine écrits. Tout cela est bien poussif – jusqu’au finale. Quant à ceux qui ont vu et se souviennent du film de Clouzot, ils pleurent.