UNE APOTHÉOSE BANCALE
En racontant l’histoire du groupe Taxi-Girl, Mirwais confirme son talent littéraire
Traversé de pépites mais hermétique à souhait, le premier roman de Mirwais était une dystopie apocalyptique doublée d’un pari surprenant : Les Tout-puissants (2022) tentait de réconcilier burroughs et ballard, la prose expérimentale et la science-fiction la plus nihiliste. il avait trouvé une forme correspondant à la musique de taxi-Girl, « triste cocktail » de froideur dans les paroles et de rythmique synthétique. Le groupe fondé en 1978 par Mirwais ahmadzai et Daniel Darc cultivait une attitude arrogante, avec défonce et chaos, drogue et bastons permanentes. Quarante-cinq ans ont passé depuis le rose bonbon mais leur son n’a nullement vieilli. L’exemple de la chanson Mannequin (1980) est frappant. C’était bien plus qu’une adaptation de The Model de Kraftwerk (1978). « She’s a model and she’s looking good » devient « Mannequin derrière la vitrine, juste un corps sans mémoire ». La beauté est plus sombre, plus âpre, plus glaçante, comme dans ce mystérieux vers de Chercher le garçon (1980) : « Sur un écran géant, une goutte de sang », qui semble prédire le sida. L’aventure du groupe est aujourd’hui recrachée par son fondateur en bribes déstructurées à la Jean-Jacques schuhl. tel est le principal mérite de ce livre rock : correspondre fidèlement à l’idée que les fans s’en font, et ne jamais trahir l’absence d’idéal. Mirwais a l’ambition de bâtir une trilogie du show-business, dont ce livre est le premier tome. Les prochains parleront sûrement de sa collaboration avec Madonna ainsi que de sa carrière de producteur électro. tout est allé très vite, trop vite pour taxi-Girl, comme la vie des éphémères que Wikipédia définit ainsi : « insectes au vol lent présentant des caractères considérés comme ancestraux, comme le fait de ne pas pouvoir rabattre leurs ailes sur leur corps. » On comprend enfin le secret du déhanché raide des « jeunes gens modernes ». Le plus important était de garder toujours un visage impassible. Le récit éclaté – bien que chronologique – de Mirwais restitue cette époque où les jeunes étaient tellement snobs qu’ils préféraient la mort au succès. rien de nouveau : on pense à Fitzgerald (« Je parle avec l’autorité de l’échec ») mais cet orgueil paraît inactuel en 2024, où l’élitisme afterpunk a été remplacé par l’exhibitionnisme digital. Dans mon dernier livre, j’ai tenté de classer les auteurs contemporains par genre, mais si je devais choisir une catégorie pour Mirwais, je serais bien embêté : il figurerait à la fois parmi les avant-gardistes, les dandys et les glauquistes ! rester inclassable aussi longtemps est un grand exploit artistique. Cela s’appelle le style. Taxi-Girl. 1978-1981, de Mirwais, Séguier, 256 p., 21 €.