AURÉLIE DUPONT, UNE VIE EN POINTES
Pendant trente ans, elle a tout noté sur des petits cahiers. Ses joies, ses peines, ses rêves, ses désillusions, ses enthousiasmes, ses déceptions, ses sentiments, la couleur de la tasse dans laquelle elle prenait le thé avec sa grand-mère, la teneur des conversations qu’elle entendait petite dans le parc des Orphelins d’Auteuil où elle jouait après la classe, la taille des cheveux de ses professeurs de danse, les mots odieux de Claude Bessy sur son physique, les compliments et les encouragements des chorégraphes les plus fameux (Robbins, Forsythe, Lacotte, Neumeier et, bien sûr, Pina Bausch « qui m’a sauvée » en lui faisant comprendre que la danse, c’était plus que la danse, qu’elle n’était pas qu’une danseuse, fût-elle étoile, et que sa fragilité était sa force). Aurélie Dupont fut durant seize ans danseuse étoile de l’Opéra de Paris et n’a rien oublié du chemin parcouru pour atteindre ce graal et des efforts accomplis pour se maintenir à un niveau d’excellence. Trente ans de souffrances, mais le jeu en valait la peine, raconte-t-elle dans une autobiographie consistante (près de 500 pages), parfois touchante, d’une sincérité totale, merveilleusement écrite *.
On serre les dents avec elle lorsqu’elle décide de refuser le diagnostic des chirurgiens après son opération du genou en 2002 (« vous ne danserez plus jamais ») ; on sourit à ses astuces pour esquiver le maximum de mouvements délicats dudit genou dans les années suivantes ; on l’accompagne dans ses toboggans émotionnels qui la conduisent de triomphes sur les scènes du monde entier (notamment au Japon, où elle est considérée comme une superstar) aux grands moments de solitude et de désarroi que ce métier d’une exigence inouïe réserve.
Dure avec ceux qui l’ont été avec elle, celle qui servit avec autant de passion la danse classique que la danse contemporaine – y compris quand elle dirigea entre 2016 et 2022 l’école de danse à l’Opéra de Paris – sait aussi (surtout) être généreuse dans son récit. Les compliments et les hommages pleuvent. Mieux : elle offre un outil pédagogique à tous les futurs petits rats en décrivant avec une telle précision les coulisses de son art.
Une leçon de travail qui est aussi une leçon de vie. N’a-t-elle pas choisi de se lancer à corps perdu dans le ballet pour exprimer sur scène ce que sa timidité lui interdisait de dire avec des mots ?
* N’oublie pas pourquoi tu danses, d’Aurélie Dupont, Albin Michel, 476 p., 22,90 €.