Le Figaro Magazine

LA VÉRITÉ APRÈS “L’ANOMALIE”

L’auteur du roman couronné par le prix Goncourt en 2020 délaisse l’imaginaire pour raconter une histoire vraie.

- LE LIVRE DE FRÉDÉRIC BEIGBEDER

Dans sa maison de campagne, Hervé Le Tellier découvre un nom gravé sur un mur : « André Chaix ». Un autre aurait peut-être effacé ce graffiti avec une truelle et du plâtre, mais quand on préside l’Oulipo, on est attentif aux signaux du destin ; le hasard devient une contrainte littéraire. Le Tellier s’est mis à fouiner comme Modiano en 1997 quand il trouva le nom de Dora Bruder dans un vieux numéro de Paris-Soir. Ce nom, André Chaix, était celui d’un résistant tué à 20 ans par une colonne de chars allemands, le 23 août 1944, à Grignan. Qui était ce jeune homme ? Un beau garçon engagé dans les FFI, un amoureux dont Le Tellier a retrouvé les lettres et les photos, un aventurier prêt à sacrifier sa vie pour libérer sa patrie. Quand un romancier vient de connaître un succès massif avec une oeuvre d’imaginatio­n folle (L’Anomalie s’est vendu à un million et demi d’exemplaire­s, avant et après l’attributio­n du Goncourt en 2020), il aurait pu être tenté d’exploiter le filon. Le Tellier aurait pu inventer une autre histoire abracadabr­ante, avec un vaisseau spatial qui se volatilise sur Mars, ou un sous-marin nucléaire échoué sur la Seine en plein milieu des Jeux olympiques, ou des drones manipulés par une I.A. chinoise sans employer la lettre E.

En cette année où nous célébrons le 80e anniversai­re de la Libération, il a préféré se concentrer sur le Résistant Inconnu. Son style se retient de délirer : « J’ai essayé de ne pas, même si j’ai parfois eu envie de. » Au fur et à mesure de ses découverte­s, on le sent à la fois émerveillé par le courage du jeune Chaix et embarrassé par sa curiosité morbide. Il se pose l’unique question qu’on se pose tous : aurais-je eu le même courage ? Certaines pages sont d’une naïveté gênante, où Le Tellier semble découvrir l’épouvante de la Shoah. Mais la vérité historique est toujours bonne à rappeler, surtout en ce moment français d’amnésie généralisé­e. Le Nom sur le mur est un livre nécessaire, et Le Tellier sait que ce qualificat­if sent la corvée. C’est pourquoi il s’implique subjective­ment, se souvient d’une fiancée suicidée à 20 ans en 1977, mélange les archives de Chaix et sa mémoire personnell­e. Il se révolte contre l’amnistie allemande de 1953 qui a gracié les exterminat­eurs, mais cherche aussi des noms de soldats de la Wehrmacht tués à 20 ans en 1944. N’oublions pas qu’Hervé Le Tellier, avant le Goncourt, avait reçu le grand prix de l’humour noir en 2013. Puisqu’il s’interdit tout sarcasme, il s’autorise tout de même quelques fantaisies, comme d’imaginer que Chaix aurait pu être le cinquième Frère Jacques, s’il avait vécu, ou un membre de sa famille, s’il en avait eu une.

Le Nom sur le mur, d’Hervé Le Tellier, Gallimard, 165 p., 19,80 €.

Retrouvez Frédéric Beigbeder sur Radio Classique tous les samedis à 19 heures.

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