UNE VIE LÉGÈRE (ET COURT VÊTUE)
Devinette : qui a éteint l’incendie du pantalon d’Alain Pacadis avec une canette de Coca-Cola en 1978 ?
La vie d’Agathe Godard est un roman qu’elle a bien fait d’écrire. Elle vient d’Aigurande dans le Berry, pas loin de chez George Sand, mais son enfance évoque plutôt Hervé Bazin. Elle est la fille du pharmacien, qui la bat avec la laisse du chien. Malgré cela, elle n’a jamais abusé des molécules de l’arrière-boutique familiale, et son récit est l’exact contraire de celui d’Isild Le Besco. Ni plainte ni règlement de compte : pas le style de la maison. Agathe Godard a eu des amants nombreux, un premier mari espagnol (jaloux, donc), un autre américain (à New York) et un troisième qui était comédien de théâtre et proxénète ! Il y avait de quoi jouer les victimes, mais elle a préféré trousser un recueil de souvenirs allègre et frivole, drôle et victorieux, comme elle. Avec ses cheveux blonds, ses yeux verts et ses jambes fines, Agathe se faisait des amis partout où elle passait. Elle a posé nue pour le grand photographe Lucien Clergue, mais ce qui
nd a séduit le monde entier est surtout son esprit, son impertinence et sa liberté.
Raymond Queneau a publié son premier roman, Pousse avec ton pain, chez Gallimard, dans la collection blanche, en 1960. Il la surnommait « la nouvelle Zazie ». C’est lui qui a changé son prénom (elle se prénomme Anne). Jean-Loup Dabadie en a écrit du bien dans un article. Daniel Filipacchi l’a embauchée dans presque tous ses journaux. Elle fut grand reporter à Paris Match, avant de tenir la chronique mondaine. Quarante-deux ans de dolce vita ! Qui dit mieux ?
Je l’ai rencontrée à une soirée du Caca’s Club où j’étais déguisé en viking, au Palace, en 1985. J’ai bu du champagne dans son escarpin mais elle ne m’en a pas voulu. Elle en avait vu d’autres : elle a vécu un an avec Philippe Léotard. Elle l’a quitté quand il s’est mis à sniffer la poudre qu’elle avait balancée, dans le sac à poussière de l’aspirateur. Elle a enregistré un disque : La Capsule à Paulo sous le pseudonyme d’Agathe Zeblouse. Andy Warhol lui a dessiné un lion (son signe astrologique) sur une nappe du Privilège et elle l’a échangé contre une montre Cartier (mauvais calcul, aujourd’hui ce dessin vaudrait le prix d’un appartement). Elle est tombée amoureuse d’un boxeur gitan et d’Omar Sharif. Elle a choisi de ne pas avoir d’enfant, pour pouvoir se réveiller tard. Elle a dormi à trois dans le même lit avec Jean Carmet et Gérard Depardieu, qui ne lui ont rien fait (dans l’état où ils étaient !). En revanche, Klaus Kinski l’a agressée dans un ascenseur, et c’est un coursier qui l’a sauvée. Mes nuits parisiennes est mieux qu’un livre de mémoires : c’est un pamphlet contre l’ennui.
Mes nuits parisiennes, d’Agathe Godard, Flammarion, 281 p., 22 €.